Rémi Lefebvre – La force des élus locaux
Par Clément Barraud
Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université Lille 2, choisit un point de vue « surplombant » le local, en particulier sur la manière dont François Mitterrand a conçu les pouvoirs locaux dans sa stratégie présidentielle des années 1970. « Quand François Mitterrand prend la tête du Parti socialiste, celui-ci a perdu une large part de son crédit politique et idéologique. Le premier secrétaire va s’employer à restaurer le capital politique partisan ainsi que l’image du PS. Il va également le militantiser », rappelle Rémi Lefebvre au colloque de l’université de Poitiers sur François Mitterrand et les territoires tenu fin mars 2017 à l’Espace Mendès France. Les années 1970 sont marquées notamment par les élections municipales de 1977, considérées comme une étape importante vers la conquête du pouvoir. En 1974, François Mitterrand va mesurer à quel point les élus ne sont pas encore assez politisés. Il va chercher en 1981 à les mobiliser davantage. Au début des années 1970, François Mitterrand a ce profil de notable de la IVe République, « l’habitus de l’élu local ». Pourtant, il va chercher à « dénotabiliser » le parti. « Comme souvent, il fait preuve de pragmatisme. Il va politiser ses élus sans affaiblir la légitimité électorale et l’importance des notables au Parti socialiste. »
Les années 1970 sont traversées par une rupture forte dans la doctrine socialiste en matière de pouvoir local : rupture avec l’apolitisme, regain de réflexion sur les questions locales, montée du thème de l’autogestion communale, aide aux associations… François Mitterrand confie en 1973 à un sociologue, Jean-Pierre Worms, le soin d’animer des ateliers sur la réflexion locale, tout en ayant un peu de distance par rapport à ces réflexions. Il engage aussi une reprise en main des élus locaux, qui doivent faire des comptes-rendus auprès des militants, assister aux assemblées générales de sections.
Connaissance intime du premier parti d’élus locaux
Lors d’un discours à la Convention de Cachan de la fédération des élus socialistes, en novembre 1974, il enjoint les élus à rendre des comptes aux militants, tout en ménageant les deux parties en présence. Il se dit « agacé autant par les élus trop soucieux de leur indépendance, que devant les militants, bien formés idéologiquement mais qui ne suivent pas le peuple dans ses profondeurs. Le militant ne comprend pas l’élu qui, voulant être absolument aimé, en arrive à se dépolitiser. »
Rémi Lefebvre note que « la domination sur le PS de François Mitterrand s’appuie sur des liens menés au fil du temps avec des élus. Il avait une connaissance intime du parti, qui se retrouve dans les élections municipales de 1977. Il est omniprésent. Pendant un mois il va parcourir la France, il se rend dans toutes les villes où il y a un meeting. Il dénonce l’apolitisme et met en avant cette nouvelle génération d’élus. Les résultats sont extraordinaires. » Le PS devient en effet le premier parti d’élus locaux de France, avec 50 000 conseillers municipaux et 5 160 maires. « Tous ces élus vont être des agents électoraux de premier plan pour la campagne de 1981. »
Les élus mobilisés pour 1981
Mais après 1977, le message politique change. « Le programme électoral de 1977 était très politique, marqué d’un marxisme urbain. Après, les messages sont plus pragmatiques. François Mitterrand ne cache pas une forme de crainte que des élus volontaristes ne politisent trop les élections locales. Pour lui, il faut avant tout les mettre au service de la campagne présidentielle de 1981 et de les enrôler. La Fédération des élus a un rôle essentiel, produit des notes, invite les maires à mettre leur gestion en lien avec le programme de Mitterrand, à être présents dans les quartiers… Une cellule de veille est mise en place en février 1981 pour contrôler les villes socialistes et veiller à ce que les élus s’impliquent. »
Des comités de soutien locaux sont créés, et vont jouer un rôle de plus en plus important pour rassurer l’opinion publique à mesure que la droite fait peur face à la probabilité d’une victoire de Mitterrand. Le dernier meeting du candidat socialiste illustre cette stratégie. Alors qu’un grand rassemblement populaire était prévu au Parc des Princes, l’équipe de campagne aurait dissuadé François Mitterrand de le tenir en raison de menaces d’attentat. Finalement, le candidat prononce un discours devant 800 maires socialistes, réunis au théâtre de l’Empire entre les deux tours. « Le symbole est fort : c’est autour des maires qu’un des derniers messages de la campagne est produit… »
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