Rafael Mandressi, pour une histoire des savoirs

Écureuil commun (système vasculaire de la tête au tronc). Annales des sciences naturelles. Atlas. 1827, tome 11, planche 20. Détail. Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. Domaine public.

Par Martin Galilée

Rafael Mandressi, historien de la médecine et des savoirs sur le corps, chercheur CNRS au centre Alexandre Koyré à Paris, donne la conférence «Les sciences et les savoirs, une histoire de périmètres» à l’occasion de la journée «L’histoire des sciences aujourd’hui» le 25 janvier 2019 dans le cadre des trente ans de l’Espace Mendès France.

«La question de Georges Canguilhem reste d’actualité : de quoi l’histoire des sciences est-elle l’histoire ?», interpelle l’historien Rafael Mandressi. Il est en effet difficile de définir ce que les sciences sont et ne sont pas. «L’emploi du terme sciences introduit des difficultés, des rugosités, des connotations, et questionne les critères de scientificité. […] Des objets que nous désignons parfois par le même terme ne recouvrent pas les mêmes réalités.» Il est par ailleurs difficile de catégoriser un objet de recherche comme scientifique avant de l’avoir étudié, mettant la recherche dans une situation paradoxale.

L’histoire de la médecine et l’histoire des sciences ont entretenu des rapports laborieux et compétitifs. La place de la médecine dans la révolution scientifique du xviie siècle a été considérée négligeable par un certain courant de pensée, mais centrale par un autre. En cause ? La définition de ce que sont les sciences à l’époque moderne. Rafael Mandressi propose comme solution de parler plutôt d’histoire des savoirs, «pour détacher l’histoire de la médecine de l’histoire des sciences.»

Homme avec présentation de certains organes. Catoptrum Microcosmicum, par Johannes Remmelinus, 1619. Planche p. 15. Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. Domaine public.

Mais la même question revient inévitablement : de quoi l’histoire des savoirs est-elle l’histoire ? «D’à peu près tout et c’est tant mieux, défend Rafael Mandressi, puisque c’est la garantie d’un pluralisme qui concerne les objets, les approches, les méthodes, et les périodes. […] Il faut éviter la cristallisation pour permettre de poser les questions d’aujourd’hui.» Ce changement de perspective apporte en effet un flou désirable. Il permet de laisser de côté des problématiques qui deviennent des fardeaux, comme la question de la scientificité et des représentations qui lui sont associées. «Ces questions bloquent le travail empirique», alors pourquoi s’en encombrer ?

Il n’existe aucun critère de démarcation qui distinguerait un savoir d’un non-savoir, mais, pour Rafael Mandressi, il serait absurde de tenter d’en formuler. Les savoirs peuvent en effet être déclinés et précisés à l’infini par autant d’épithètes : «Savoirs lettrés, techniques, tacites, sociaux, institutionnels, dissidents ou parallèles, artisanaux, sensoriels, appliqués, mixtes, spéculatifs, empiriques, pratiques, etc. Scientifiques, de temps à autre. La liste est longue, elle est ouverte, plastique.» Rafael Mandressi modère cependant : «Les possibilités sont virtuellement infinies mais ça ne veut pas dire qu’on fait l’histoire de tout.» 

Manière de découper les viandes, volailles et poissons. Gros manuel de la cuisinière bourgeoise, 1875. Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. Domaine public.

Recouvrir une question sémantique d’un masque de flou pour donner carte blanche aux chercheurs pourrait cependant représenter une solution de facilité. «On évite à peu de frais le travail d’aller voir ce que science veut dire pour les gens qui nous intéressent et dans les écrits sur lesquels nous travaillons.» Ainsi l’histoire des sciences n’est pas remplacée, mais si Rafael Mandressi est suivi, elle existera peut-être au sein de l’histoire, plus vaste, des savoirs.

Cet article fait partie du dossier L’histoire des sciences aujourd’hui.

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