Des illites en épitaphe

Jérémie Aubineau et Abderrazak El Albani. Photo E. Nau.

Une nouvelle démarche permettant de révéler des traces de vie très ancienne a été mise en évidence par une équipe internationale pluridisciplinaire coordonnée par Abderrazak El Albani de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (IC2MP, CNRS / université de Poitiers) et menée par son doctorant Jérémie Aubineau.

Voile bactérien fossile. Photo A. El Albani et J. Aubineau.

L’histoire commence sur le site de Franceville, celui qui a livré il y a dix ans déjà, à la même équipe de chercheurs, les plus anciens fossiles d’organismes pluricellulaires jamais observés. Les chercheurs se sont alors intéressés à l’environnement de ces fossiles, soupçonnant certaines formations minérales d’être des voiles bactériens fossilisés. À partir de 2015, Jérémie Aubineau, alors étudiant en master, s’est attelé à décrire et répertorier toutes les morphologies de ces voiles. Il a déterminé l’environnement de ces dépôts et notamment la profondeur des eaux de leur formation. «On regarde si ces structures ressemblent, jusqu’à l’échelle micrométrique, à celles des bactéries actuelles. En l’occurrence, on les retrouve à l’identique dans les marais salants des côtes bretonnes», raconte le jeune chercheur. Il en déduit alors que ces voiles proviennent de bactéries photosynthétiques vivant par moins de cent mètres de fond. Restait à conduire une étude précise pour confirmer l’hypothèse.

Signature minérale

«Le problème de la matière organique c’est qu’elle ne se conserve pas, explique Abderrazak El Albani. Dans des roches de plus de trois milliards d’années, il ne faut pas rêver, l’organique n’est plus là. Le minéral, en revanche, peut enregistrer le passage de l’organique dans le système, tel que son déplacement, comme nous l’avons montré dans une précédente étude (voir L’Actualité nouvelle-Aquitaine, n° 124, p. 12). Cette fois-ci, il s’agit des traces d’une activité bactérienne.» Les éléments chimiques présents dans le tissu bactérien ont ainsi interagi avec leur environnement minéral. «À notre grande surprise, continue le directeur de thèse, Jérémie Aubineau a trouvé une signature minérale différente entre le sédiment et le voile, pourtant épais au mieux d’un millimètre et ayant subi le passage de deux milliards d’années !» Le changement de composition chimique est lié à l’emplacement de ce voile et donc des bactéries.

Voile bactérien fossile. Photo A. El Albani et J. Aubineau.

Ces roches sédimentaires sont très majoritairement du grès, du sable consolidé. «Allez à la plage et attendez quelques milliers d’années, ça va donner du grès», conseille le jeune chercheur pour occuper les vacances. Dans ce grès, on retrouve partout de la smectite, minéral argileux, sauf dans le voile, où l’illite la remplace. La réaction minérale qui permet de passer de l’une à l’autre nécessite un élément chimique spécifique, le potassium. «Cet élément chimique se retrouve dans le vivant, et essentiellement dans les bactéries», reprend Abderrazak El Albani. Son doctorant poursuit : «Le potassium, comme on l’a montré, peut provenir du vivant, mais il peut aussi provenir d’un autre minéral, les K‑feldspaths. On sait depuis longtemps, cependant, que ce minéral est absent de notre site.» La réaction ne peut donc se produire que dans les voiles bactériens, chargés de potassium d’origine biologique. Au contraire, sur le site de Podolya en Ukraine, les chercheurs ont observé des voiles bactériens mais qui baignent dans des sédiments contenant du potassium : il n’y a alors rien à voir. «J’ai fait l’analyse minéralogique de voile bactérien et de support sédimentaire issus de ce site, et j’ai trouvé la même chose dans les deux», témoigne Jérémie Aubineau. Le site de Franceville est donc exceptionnel aussi pour sa minéralogie.

Nous ne sommes pas seuls

Ce travail permettrait donc d’identifier des traces de vie en l’absence de molécules organiques, si toutefois la chance fournissait des conditions similaires à celles sur lesquelles ont travaillé les géologues. Pour Abderrazak El Albani, c’est une voie ouverte pour les exobiologistes, chercheurs de vie dans le cosmos. «Dans une mission sur Mars, il est crucial de savoir où poser le véhicule. Choisit-on une roche argileuse, sableuse, calcaire ? Notre étude pourrait aider à faire ce choix. De plus, les robots étant aujourd’hui capables de petits forages, ils pourraient réaliser des analyses de sédiments millimètre par millimètre, d’après la méthode que nous proposons.» Nul besoin en effet d’observer les formations de voiles dans le sédiment ni de découvrir des molécules organiques : de l’illite parmi la smectite serait à elle seule un indice majeur d’anciens peuplements bactériens. Les chercheurs ont dorénavant un nouvel outil pour chercher de la vie dans des roches très anciennes.

Voile bactérien fossile. Photo A. El Albani et J. Aubineau.

Aubineau, J., El Albani, A., Bekker, A., Somogyi, A., Bankole, O.M., Macchiarelli, R., Meunier, A., Riboulleau, A., Reynaud, J.Y. and Konhauser, K.O. (2019). Microbially induced potassium enrichment in Paleoproterozoic shales and implications for reverse weathering on early Earth. Nature communications, 10(1), p. 2670.

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