Photographie d’un costume disparu de l’opéra Aïda
Par Chloé Teixeira
L’opéra Aïda de Guiseppe Verdi et scénarisé par Auguste Mariette, prend place durant l’ Égypte pharaonique. Au centre d’un climat politique troublé, l’héroïsme et la trahison se côtoient autour d’un triangle amoureux uni dans un sort inéluctable. Ces attributs antinomiques finissent alors par entraîner la déchéance tragique du couple Radamès-Aïda, amenant ainsi à la mort de ces derniers.
Ce scénario a été élaboré suite à une demande du vice-roi d’Égypte Ismaïl Pacha, souhaitant célébrer avec un opéra inédit l’ouverture de l’Opéra Khédival du Caire en 1870. Celui-ci demande que la couleur strictement égyptienne soit conservée dans le libretto, les décors et les costumes, et charge Auguste Mariette de veiller sur cette exigence. Afin d’accéder aux aspirations du vice-roi, il dessine lui-même les costumes d’Aïda. Delphine Baron est la couturière responsable des costumes dans les ateliers à Paris. Ismaïl Pacha tient à ce que les costumes soient produits en France, sans doute par souci de qualité et de prestige que suscite le savoir-faire français. Des problèmes surviennent dans la conception des costumes, d’une part pour des raisons stylistiques et logistiques, mais aussi pour des raisons politiques. La première représentation d’Aïda est finalement donnée au Caire le 24 décembre 1871. Alors que la fantaisie prévaut dans la réalisation des costumes durant cette époque, ceux d’Aïda sont appréciés pour leur exactitude historique.
Aïda au Caire
Nous allons nous intéresser dans cet article à la photographie d’un costume bien précis : celui du rôle principal, la princesse éthiopienne Aïda. Ce fut Antonietta Pozzoni-Anastasi qui interpréta le rôle de la princesse éthiopienne pour la première représentation au Caire. La photographie du costume d’Aïda, pour la représentation cairote, a été une des découvertes
fortuites des travaux menés en master 1 à l’université de Poitiers en 2018–2019. L’intérêt pour cette photo est renforcé, car elle demeurait inconnue du chercheur et spécialiste Jean- Marcel Humbert, qui a consacré de nombreuses études à propos d’Aïda. Retracer l’histoire de cette photographie n’est pas une tâche aisée, car aucune information ne semble transparaître à son sujet. Une analyse conjointe avec J.-M. Humbert a permis d’identifier l’interprète, mais également le costume. Ce dernier a été reconnu grâce à une maquette de costume dessiné par Auguste Mariette. Cette maquette de costume a été retrouvée au Département des Manuscrits, à la Bibliothèque nationale de France. Le dessin présente la signature de son auteur, et celui-ci a en plus inscrit le nom d’Aïda en haut à gauche.
« Les costumes réalisés avant la dernière Guerre ont disparu ou ont été éparpillés lors de ventes organisées par l’Opéra »
Le dessin et la photographie sont tout à fait comparables, et des éléments communs sont repérables, notamment la coiffe prenant la forme d’un bandeau large serti de perles associé à des plumes en partie haute. Le bandeau se prolonge au niveau des tempes par des roues.
Grâce au second croquis dessiné par Mariette sur la même maquette, nous voyons que ces plumes se prolongent le long de la chevelure. Cet élément n’est malheureusement pas vérifiable sur la photographie, puisque la jeune femme ne se présente pas de dos. La coiffure est similaire autant sur la maquette de costume que sur la photographie. Elle porte une importante tresse, et celle-ci, passe au-dessus du bandeau. De chaque côté, une autre tresse passe le long du visage, puis, s’enroule autour des oreilles. Quelques différences sont perceptibles au niveau des bijoux. Sur la photo, les bracelets de bras n’ont pas de tiges pendantes agrémentés de perles, et la chanteuse porte des boucles d’oreilles. Quant au costume, les deux images montrent que la protagoniste est vêtue d’une tunique blanche à manches courtes. Il s’agit de la première couche de tissu composant la tenue. Du côté gauche, un autre tissu est présent. Il passe par l’épaule gauche et forme une bandoulière qui se prolonge à la hanche droite, sans pour autant passer du côté droit. Il est composé d’une bande orange sur le dessin, et de traits verticaux fins. Les traits sont plus nombreux et accentués pour le costume de la photographie. Ce tissu se prolonge en partie basse, comme une seconde couche de tissu. Une différence est notable dans la photographie. La jeune femme porte des sandales, alors que dans le dessin, elle demeure pieds nus.
Il est intéressant d’observer la transposition d’un dessin en un costume matériellement palpable, et visible grâce à une photographie, quand celle-ci est retrouvée ou existante. La maquette de costume reste primordiale, car les costumes réalisés avant la dernière Guerre ont disparu ou ont été éparpillés lors de ventes organisées par l’Opéra. Par conséquent, et selon les oeuvres lyriques, les maquettes restent alors les seuls témoignages oculaires d’une représentation. Comme nous l’avons mentionné précédemment, retracer l’histoire de cette photo est difficile, car l’incendie de l’Opéra Khédival du Caire a probablement détruit des données relatives aux costumes et aux maquettes. En l’occurrence, nous savons que l’auteur de la photographie se nomme Otto Schoefft, un Autrichien établi au Caire. Il a donc peut-être photographié davantage de chanteurs de la première représentation d’Aïda. Une hypothèse qui reste encore en suspens.
HUMBERT Jean-Marcel, PANTAZZI Michael, ZIEGLER Christiane, Egyptomania : l’Égypte dans l’art occidental, 1730–1930, Paris, Musée du Louvre, 20 janvier-18 avril 1994, Édition Réunion des musées nationaux, Paris ; Musée des beaux-arts du Canada. Ottawa, 1994, p. 26.
TEIXEIRA Chloé, L’égyptomanie dans les costumes d’opéra au XIXe siècle : le cas de l’opéra Aïda de Giuseppe Verdi, Mémoire de recherche de master 1 en Histoire de l’Art, sous la direction de Philippe Mainterot, Poitiers, Université Science Humaine et Art, 2018–2019, 501 pp.
Cet article a été réalisé lors d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique dans le cadre du master histoire de l’art, patrimoine et musées de l’université de Poitiers.
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