Niort en couleurs
Par Amina Tachefine
Emmanuel Denis-Touron est journaliste à la Nouvelle-République. Poitevin de naissance, il a depuis longtemps quitté la Vienne pour s’installer dans les Deux-Sèvres. Niort, son lieu de résidence, devient sa muse.
Autodidacte, cela fait une quinzaine d’années qu’il dessine. Il a collaboré avec le photographe animalier Philippe Giret et la journaliste Myriam Hassoun dans Mes Voisins, publié par les éditions Mons en 2019. Il revient avec un nouveau livre, publié par La Geste, où il représente les bâtiments niortais, son fleuve et le marais poitevin : «Je dessine Niort depuis maintenant cinq ans, dit-il. C’est Florence De Mornac, libraire à La Librairie des Halles, qui a organisé une rencontre avec La Geste. Le projet a ainsi commencé en septembre 2020.»
«Toutes les villes devraient commencer ainsi.» Voilà comment débute cette ode à Niort. Sobrement, l’artiste représente l’horizon. Par un style emprunté à la bande dessinée, on y découvre des lieux comme Sainte-Pezenne, Champclairot ou encore Souché.
La ville comme chevalet
En utilisant uniquement de l’encre de Chine, l’auteur peint la Sèvre Niortaise : «L’usage de l’encre en alternant avec l’aquarelle casse la monotonie. Les encres apportent un côté bande dessinée que j’apprécie beaucoup. Ça exagère la lumière, ce qui permet des contre-jours intéressants.» Ainsi, le fleuve transmet sa profondeur. Par les réserves de blanc, on devine un ciel illuminé par le soleil, dont les lueurs ricochent sur l’eau et les maisons aux alentours. Les escaliers de la place de la Brèche jouent le rôle de socle à des bâtiments aux lignes perpendiculaires. Une femme descend les marches à la hâte : sa robe flotte derrière elle.
Le pinceau de calligraphie trace les câbles électriques de l’avenue de Limoges, ainsi que l’ombre des pavés de la rue Brisson : «Le mieux pour les regarder filer est de s’accouder au parapet sous les halles.»
Emmanuel Denis-Touron laisse ses pinceaux guidés par le souvenir. Sous un ciel clair, un établissement : le Relax Bar. «À l’étage de ce troquet de la rue Jean-Jaurès vivait un vieil homme. Souriant, un peu ermite, un bonnet rouge en hiver.» La brasserie s’est établie pendant vingt-quatre ans, avant de fermer définitivement en 2020 : «Et puis le vieil homme est mort. Le patron a fini par vendre. Et le bar a été effacé.» C’est banal mais universel.
«C’est une vraie histoire de quartier. Le vieil homme s’appelait Christian. Sa seule famille était le patron du bar. Peu de temps après son décès, des appartements ont remplacé les lieux. J’ai fait ce dessin juste avant que le bar disparaisse.»
D’autres établissements, comme La Roussille, dans le quartier Saint-Liguaire, rappellent le chamoisage, ayant fait la richesse de la ville jusqu’au début du xxe siècle. Celui-ci prenait place dans ces bâtiments où l’on sert maintenant du filet de rouget en escabèche et du tataki de thon.
En admirateur des espaces où règne la végétation, l’aquarelliste partage ce qui reste de l’ancienne voie de chemin de fer reliant Niort et Fontenay-le-Comte. Celle-ci est ensevelie par les arbres. Le feuillage, retranscrit par des tâches dans différentes gammes de verts, s’élèvent vers le ciel. L’image est bordée d’encre noire, semblable à une photographie instantanée. Sur le quai de la Regratterie, d’épais arbres ont été reproduits à partir de brou de noix utilisé en lavis. Colorant issu de l’écorce de la noix, il permet cette teinte brunie. L’auteur nous en dit un peu plus sur cette technique : «Moins sombre que l’encre, le brou apporte ce côté sépia au dessin. Je fais mes arbres avec ça, à l’éponge, pour que le coup de pinceau ne se voit pas. Le brou a une singularité incroyable : lorsqu’une goutte tombe sur le papier, ses pigments migrent vers les bords.»
Dépaysement citadin
Au fil des pages, on fait une étonnante rencontre. L’auteur a imaginé une galerie au Musée Bernard d’Agesci où les dragons s’invitent : on y retrouve un dragon imaginé sous les traits d’un Mondrian, ou bien encore de Banksy et Keith Haring. Un tableau met en scène Monsieur Linea qui rencontre la créature mythique. Il nous explique cette idée fabuleuse : «Les quatre têtes de dragons de Niort font partie de l’identité de la ville, au même titre que le Donjon. La première idée était de les dessiner comme ces statues de vaches aux motifs colorés. Puis je les ai déclinés avec plusieurs styles artistiques reconnaissables.»
Emmanuel Denis-Touron dévoile un Niort à l’architecture diverse et romancée. La citerne de Boinot en contre-plongée devient bijou artistique et le ciel son support : «Un bleu pareil, ça ne s’invente pas», signale un cartouche. L’avenue de la Rochelle, avec ses pavillons, devient jumelle des Painted Ladies de San Francisco. On voyage dans les Deux-Sèvres.
L’Hôtel de Ville navigue dans la nuit, les nuages tel que l’écume pour seule compagnie. L’auteur reproduit avec humilité les anciens Bains Juins, premiers bains-douches niortais. On raconte que son architecture viendrait d’un mexicain, expliquant ainsi ses airs hispaniques.
«J’ai dessiné ces endroits car ils m’emmènent ailleurs. Il ne s’agit pas de faire l’histoire de Niort. J’ai voulu avant tout transmettre mes ressentis, et laisser la ville parler à mon inconscient.»
Mais Niort, c’est aussi la beauté de ce qui reste des anciennes tendances architecturales : il faudra aller aux quartiers de Champclairot et de Champommier pour voir les maisons des années 1950, aux teintes vertes, roses ou beiges : «Touchantes souvent, hautaines parfois, coquettes toujours.»
Le journaliste nous parle de cet attachement particulier : «C’est une ville absolument magnifique. J’y ai découvert la douceur d’y vivre. Je pense que les personnes qui la condamnent sont celles qui ne la connaissent pas. Niort, c’est un sujet d’émerveillement permanent. On y découvre des trésors cachés, qui méritent le coup d’œil. Il y a une lumière fantastique : la ville se laisse traverser par elle, et le soleil vient taper contre ses façades très blanches, en fin d’après-midi.»
Quelques plans ont été reproduits, afin d’aider le lecteur à se situer, ou bien à s’y retrouver plus tard. La Sèvre devient un trait turquoise. Les maisons, vues de haut, des petits points marrons. Ce livre s’adresse aux personnes qui sont venues et à celles qui viendront. N’en déplaise à Michel Houellebecq !
Emmanuel Denis-Touron, Niort aquarelles – lignes claires, éditions La Geste, 140 p., 2021, 20 €
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