Monument antique – Jardin des droits de l’Homme
Par Benoît Billy
Une opération de fouille archéologique préventive menée par l’Inrap dans le cadre du projet de Modernisation du réseau de transport public (MRTP) porté par Grand Poitiers et réalisée au cours de l’été 2019 sur le site du Jardin des droits de l’Homme à Poitiers a livré un exceptionnel ensemble de vestiges antiques relativement bien préservés. Ceux-ci consistent essentiellement en niveaux de sols et en maçonneries et correspondent à différentes phases d’occupation qui peuvent être situées entre le ier siècle avant notre ère et la fin du iiie siècle de notre ère pour la période antique. Les périodes plus tardives médiévale et moderne, également représentées sur le site, sont documentées principalement par des structures en creux et des fondations de bâtiments.
Une seconde phase de travaux, réalisée au cours des mois de janvier et février 2020, a permis de compléter les observations réalisées lors de la campagne estivale 2019. À cette occasion, ce sont principalement des caves et fondations de bâtiments datant de l’époque moderne qui ont été mises au jour.
Les vestiges antiques offrent en particulier une illustration du décor et de l’architecture d’un important bâtiment occupant le cœur monumental de la ville du Haut-Empire avec notamment la découverte de deux pavements de mosaïques. Ils constituent en outre un trait d’union avec d’autres occupations contemporaines, identifiées dans un environnement proche à l’occasion de différentes opérations archéologiques réalisées au cours des dernières décennies. Ils offrent ainsi d’intéressantes perspectives de compréhension de l’organisation et de l’évolution urbaine du cœur de la ville antique.
Un tel travail d’analyse est actuellement en cours dans le cadre de la phase d’étude qui suit les opérations menées l’été dernier et cet hiver. Avant de pouvoir en présenter prochainement les résultats, une remise en contexte sommaire de l’environnement archéologique pour la période antique principalement nous permet d’apprécier la richesse de ce patrimoine enfoui.
Dès le xixe siècle des découvertes isolées sont régulièrement mentionnées et publiées notamment dans le bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest. Ces observations constituent certes des indices précieux mais ne révèlent pas l’importance du patrimoine architectural des sites préservés dans notre sous-sol.
Il faut attendre le milieu des années 1970 pour que plusieurs opérations archéologiques d’envergure soient entreprises et en révèlent toute la richesse. Ces interventions ont pris des formes très variables, depuis les sondages ponctuels jusqu’à la fouille archéologique, et ont donc concernées des emprises de tailles très différentes, allant de quelques mètres carrés (Parvis de l’église Notre-Dame-la-Grande, 1991, Hôtel Aubaret, 1996) à plusieurs centaines de mètres carrés (Place Charles-de-Gaulle, 1976, Médiathèque, 1992).
Rendez-vous archéologique manqué
La création au début des années 1970 d’un important parking souterrain sur l’actuelle place Charles-de-Gaulle constitue un précédent sans équivalent à Poitiers. Aujourd’hui encore évoqué comme un monumental scandale archéologique, cet important chantier, bien que situé dans un secteur protégé depuis 1965 s’est déroulé sans surveillance archéologique. Des terrassements ont mis au jour un important complexe architectural antique rapidement détruit par les pelleteuses en œuvre sur le chantier. À l’occasion de ces travaux ont en particulier été dégagés une voie bordant un bâtiment caractérisé par plusieurs pièces dont certaines possédaient des sols de béton préservés et des parois couvertes de plaques d’enduits peints. Un pavement de mosaïque, aujourd’hui conservée au musée Sainte-Croix, y a également été découvert.
L’émoi suscité par l’importance des destructions va conduire les services de l’État à organiser une campagne de fouille archéologique au cours de l’année 1976. Une opération de sauvetage est alors organisée sous les anciennes halles de Poitiers vouées à la démolition en raison de l’extension du parking souterrain. Seuls les niveaux antiques feront l’objet d’observations et les niveaux plus tardifs médiévaux et modernes seront pour leur part complètement ignorés.
Au cours de cette campagne sont identifiés plusieurs maçonneries (fondations et élévation de murs) ainsi que des sols conservés lesquels complètent le plan levé en 1973 d’un bâtiment comprenant plusieurs pièces. L’attribution chronologique de cet ensemble est principalement rapporté au Haut-Empire et distingue différentes phases d’occupation entre le ier et le iiie siècle de notre ère.
De cet important complexe architectural, seul subsiste un plan général approximatif et rapidement dressé (Nicolini, 1975 et 1977). Difficilement exploitable en raison de l’imprécision des orientations des bâtiments et de l’absence de restitution des phases d’occupation permettant d’appréhender l’évolution du site, il s’agit pourtant aujourd’hui du seul document produit permettant d’appréhender les installations reconnues sur la place. Ce plan, malgré ses imperfections, constitue néanmoins une source importante pour la compréhension d’une partie de l’organisation urbaine du cœur monumental.
Exemple de restructuration architecturale antique
Au début des années 1990, le projet de construction de l’actuelle médiathèque François-Mitterrand donne lieu à une campagne d’évaluation archéologique au cours de laquelle plusieurs vestiges sont reconnus, en particulier les indices d’une occupation antique et plus précisément les éléments constitutifs de la fondation du rempart dressé au cours du ive siècle de notre ère et dont le tracé est reconnu depuis les travaux menés par la commission Ledain en 1870 (Ledain, 1872).
En 1992 une opération de fouille archéologique préventive est engagée et menée par l’Afan sous la conduite de Cyrille Pironnet. Au cours de cette campagne plusieurs phases d’occupation sont reconnues. Celles-ci établissent une permanence des installations entre la fin de la période gauloise et la période moderne.
Un plan d’installation des bâtiments antiques est dressé à cette occasion. Celui-ci peut aujourd’hui être complété par les relevés topographiques effectués lors de la campagne de l’été 2019. Des corrélations entre les différentes phases d’occupation contemporaines sur les deux sites peuvent effectivement être établies et offrent, avec plus de certitudes que les bâtiments reconnus sur la place Charles-de-Gaulle, la possibilité de restituer l’évolution de l’ensemble bâti qui caractérise la phase dite monumentale.
En cours d’étude pour l’heure, la mise en relation des différents éléments reconnus lors de ces différentes opérations permettra de mieux cerner les modalités d’organisation de l’ensemble du quartier au cours de l’Antiquité et d’en fournir un schéma évolutif. Il est également permis d’imaginer cerner avec plus de précision le statut des bâtiments dont les plans ne cessent d’être enrichis. Ces considérations s’appliquent également aux découvertes relatives aux périodes médiévale et moderne dont il n’a pas été question ici mais pour lesquelles les applications méthodologiques sont similaires.
Références citées :
Bélisaire Ledain (1872), Mémoire sur l’enceinte gallo-romaine de Poitiers, Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, tome 35, pp. 157–221.
Gérard Nicolini (1975), Circonscription de Poitou-Charentes, Gallia, tome 33, pp. 382–383.
Gérard Nicolini (1977), Circonscription de Poitou-Charentes, Gallia, tome 35, pp. 383–384.
Benoît Billy est archéologue à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) en Nouvelle-Aquitaine et Outre-Mer. Il est membre associé du laboratoire Hellénisation et romanisation dans le monde antique (Herma) de l’université de Poitiers.
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