L’impact économique du confinement : quels territoires sont les plus touchés ?

Napafloma-Photographe - City vibe / Ambiance urbaine #11 - Creative Commons BY-NC-ND 2.0 (Flickr)

Par Olivier Bouba Olga, université de Poitiers

Le confinement conduit à des pertes d’activité qui varient fortement selon les secteurs. Or, comme les territoires ont des spécialisations sectorielles différentes, ils vont être touchés de manière différenciée.

Différentes institutions (INSEE, OFCE, XERFI, etc.) se sont livrées à des prévisions sur l’impact économique du confinement, en s’appuyant sur des données quantitatives (données administratives et d’enquêtes) et des données plus qualitatives (remontées d’entreprises et de fédérations professionnelles par exemple). Selon les estimations, la perte d’activité (mesurée par le PIB qui est la somme des valeurs ajoutées par les entreprises) est comprise entre ‑32% et ‑36%, soit le choc économique le plus fort jamais connu hors temps de guerre. À noter que les prévisions des différentes institutions sont fortement corrélées entre elles, les résultats sont donc convergents en dépit des différences de méthode.

SecteurInsee 9 avrilOfce 20 avrilInsee 23 avril
Agriculture, sylviculture et pêche-10%-15%-13%
Fab. aliments, boiss. & prdts base tabac-5%-15%-5%
Cokéfaction et raffinage-80%-54%-80%
Fab. éq. élec., électr., inf. & machines-72%-44%-61%
Fabrication de matériels de transport-61%-73%-72%
Fabrication autres produits industriels-53%-49%-45%
Extr., énerg., eau, gestn déch. & dépol.-23%-20%-20%
Construction-88%-85%-79%
Commerce ; répar. automobile & motocycle-56%-44%-55%
Transports et entreposage-64%-49%-63%
Hébergement et restauration-90%-75%-91%
Information et communication-34%-24%-34%
Activités financières et d’assurance0%-20%0%
Activités immobilières-1%-7%-2%
Ac. spé., sci. & tec., svces adm. & stn-47%-39%-45%
Admin. pub., enseign., santé & act. soc.-15%-7%-14%
Autres activités de services-77%-42%-76%
Total-36%-32%-32%
Tableau 1 : Estimations des pertes d’activité liées au confinement (%)
Sources : prévisions Insee du 23 avril 2020 ; prévisions Insee du 9 avril 2020 ; prévisions OFCE du 20 avril 2020.

Pour calculer l’impact macroéconomique, les différents organismes font des prévisions par secteur puis les agrègent en fonction du poids des secteurs dans l’activité. Parmi les secteurs les moins touchés, on trouve la filière Agriculture – IAA, ainsi que les services non marchands, qui jouent leur rôle d’amortisseur de crise. À l’inverse, les secteurs hébergement et restauration, la construction ou la fabrication de matériels de transport sont parmi les plus touchés.

Il est possible de produire une déclinaison territoriale de ces estimations, en appliquant les prévisions sectorielles aux poids des secteurs dans chacun des territoires (voir l’annexe 1 pour le détail du calcul). Comme les spécialisations des territoires diffèrent, l’impact de la crise sera différent d’un endroit à l’autre. Nous proposons de nous livrer à une telle déclinaison, en nous appuyant sur les prévisions de l’Insee du 23 avril 2020 et en les appliquant aux départements (une carte des résultats par intercommunalité est également proposée en annexe 2).

À l’échelle des départements, les taux de pertes varient entre ‑28% et ‑41%. À l’échelle des intercommunalités, ils varient entre ‑19% et ‑55%. Les médianes sont respectivement de 33% et de 32%.

Carte 1 : Estimation des pertes par département.

Globalement, les départements les plus touchés se situent à l’Est du territoire ainsi qu’en Île-de-France. La partie Ouest semble plus épargnées, en dehors de quelques départements comme la Haute-Garonne ou la Loire-Atlantique.

Plus fortes pertes Moins fortes pertes
92-Hauts-de-Seine-41%23-Creuse-28%
77-Seine-et-Marne-40%48-Lozère-28%
93-Seine-Saint-Denis-39%55-Meuse-29%
73-Savoie-39%973-Guyane-29%
75-Paris-39%32-Gers-30%
78-Yvelines-39%15-Cantal-30%
91-Essonne-39%971-Guadeloupe-30%
95-Val-d’Oise-38%11-Aude-30%
31-Haute-Garonne-38%29-Finistère-30%
69-Rhône-38%09-Ariège-31%
Tableau 2 : Pertes les plus fortes et les moins fortes par département.

Les secteurs contribuant à la situation des Hauts-de-Seine sont les activités scientifiques et techniques (contribution de 33 points de pourcentage), le secteur information et communication (21 points) et le commerce (11 points). Les poids des secteurs moins touchés (services non marchands, agriculture-IAA), faibles sur les territoires d’Île-de-France, jouent également. Autre exemple, la Savoie, qui est pénalisée par son poids dans le secteur hébergement et restauration (contribution de 22 points de pourcentage à la perte), les activités scientifiques et techniques (16 points), le commerce (14 points) et la construction (11 points). La Haute-Garonne est quant à elle pénalisée par le poids des activités scientifiques et techniques (contribution de 26 points), le commerce (12 points), la construction (11 points) et par celui de la fabrication de matériels de transport (9 points).

À l’inverse, les territoires dont les pertes sont les plus faibles se distinguent par un poids important des services non marchands. Alors que ces derniers pèsent 32% de l’emploi dans la France entière, ils représentent 48% de l’emploi dans la Creuse, 49% en Lozère ou 43% dans la Meuse. Ces territoires sont également un peu plus spécialisés que la moyenne dans l’agriculture et les IAA, et un peu moins que la moyenne dans le secteur hébergement et restauration.

Pour conclure, précisons qu’il s’agit là de prévisions qui ne prennent en compte que les spécialisations des territoires à un niveau relativement agrégé, les pertes effectives pourront être plus élevés ou plus faibles en fonction d’effets locaux non pris en compte ici (stratégies spécifiques des entreprises locales, politiques mises en œuvre par les institutions locales, etc.) ou d’effets plus fins de spécialisation. Il s’agit également de prévisions de court terme, les évolutions à moyen ou long terme pourront être différentes, en fonction de la durée du confinement, de l’évolution des comportements des consommateurs et des entreprises, ainsi que des éventuels plans de relance du pays ou de l’Europe, ou d’autres mesures de politique économique.

Olivier Bouba-Olga est professeur de sciences économiques à l’université de Poitiers. Il suit et commente l’actualité économique et politique – notamment l’évolution territoriale de la pandémie de Covid-19 – sur son blog personnel. Il a dirigé Dynamiques territoriales, éloge de la diversité, ouvrage collectif édité en 2017 par Atlantique – Édition de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine.

Annexe méthodologique : territorialisation de l’analyse

De manière générale, la territorialisation des prévisions consiste à appliquer les taux de croissance sectoriels estimés aux poids de ces secteurs dans les territoires. Logiquement, un territoire spécialisé dans les secteurs les plus touchés sera plus impacté qu’un territoire spécialisé dans les secteurs les moins touchés.

Notons tj les taux de perte des secteurs j observés nationalement. Le taux de perte du territoire i sera :

Expression 1

Soit la somme pondérée par les valeurs ajoutées des taux nationaux sectoriels de perte.

Le problème est qu’on ne dispose pas des valeurs ajoutées territoriales, seulement de l’emploi au lieu de travail (tiré du recensement de la population millésime 2016). Pour calculer les taux de pertes locaux, on va donc faire l’hypothèse que les productivités locales dans chaque secteur sont les mêmes que celles observées nationalement. Dès lors, on peut écrire :

Expression 2 et

En réarrangeant dans l’expression (1), on obtient finalement :

Ce taux de perte dépend uniquement de la structure de spécialisation du territoire. Le taux effectif pourra en différer si des effets locaux réduisent ou accentuent les effets sectoriels observés nationalement.

Annexe 2 : estimation des pertes par intercommunalité

2 Comments

  1. Comment prenez-vous en compte la différence de taux de “syndicalisation professionnelle” selon les métiers ? Il est certain que toutes les entreprises de l’UIMM, très grandes ou TPE(?) peuvent s’appuyer sur une structure professionnelle qui fonctionne en “lobby” … D’autres secteurs, dominés par les PME/TPE, n’ont pas de telles structures de défense ( OK, ils le méritent bien!) … et dispersés, s’écroulent en silence …

    • il n’est pas pris en compte dans cet exercice. Ici, il s’agit de décliner géographiquement les pertes sectorielles prévues par l’Insee. Ce que vous évoquez pourrait jouer ensuite dans le soutien qu’apportera ou non l’Etat (au sens large) à tel ou tel secteur.

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