La destruction de l’enceinte médiévale de Poitiers
Par Marianne Soulard
Dans L’embellissement des villes. L’urbanisme français au xviiie siècle, l’historien Jean-Louis Harouel expose trois types d’urbanisme au siècle des Lumières. Le premier se veut purement esthétique, le deuxième symbolique du pouvoir, le troisième pratique. Prônant la facilitation de la circulation, ce dernier urbanisme entraîne la destruction des enceintes médiévales de nombreuses villes françaises, dont l’enceinte de Poitiers. Planifiées par les intendants de province en lien avec les ingénieurs des Ponts et Chaussées, ces opérations se veulent rationalistes et modernisatrices.
État des lieux des murailles médiévales poitevines
Encerclée par ses 6,5 kilomètres de murailles, Poitiers conserve au xviiie siècle un aspect de cité médiévale. Rehaussée de créneaux et de mâchicoulis, l’enceinte, qui alterne entre angles rentrants et sortants, possède de trente à soixante tours et demi-tours.
En mauvais état de conservation, les murailles sont à l’origine d’accidents de plus en plus réguliers. Entre autres, un homme est tombé, accompagné de son mulet et de ses bœufs, du haut du rempart surplombant Tison. À la dégradation occasionnée par le temps et les intempéries, s’ajoute la fragilisation des murailles sous l’action humaine. Des habitants de Poitiers intra-muros qui possèdent un lopin de terre jouxtant le Clain préfèrent escalader les remparts pour rejoindre plus rapidement leur jardin plutôt qu’emprunter les portes de la ville. Le vol de pierres issues des remparts, afin de les revendre ou de les réutiliser pour de nouvelles constructions, est extrêmement fréquent. Si bien qu’un article intitulé « Conservation des murs de cette Ville » publié dans les Affiches du Poitou en date du 26 septembre 1776, expose la décision de sûreté publique prise par le conseil municipal à ce sujet. Ces réglementations montrent ainsi une volonté de conservation des murailles médiévales. La raison la plus simple est souvent d’ordre économique. Malgré l’existence certaine de brèches, les remparts empêchent au mieux l’entrée d’individus souhaitant se soustraire aux taxes d’octroi. Taxes qui rapportent financièrement à la municipalité. Émane également de ces murailles un sentiment de protection qui rassure le corps municipal et les citadins d’une potentielle attaque.
Des portes de ville médiévales jugées trop étroites
L’enceinte médiévale de la ville de Poitiers compte au xviiie siècle six portes : celles de la Tranchée, de Pont-Achard, de Saint-Lazare ou de Paris, du pont de Rochereuil, du pont Joubert et du pont de Saint-Cyprien. À cela s’ajoutent les fausses portes de Chasseigne, de Bajon, de Cornet et de Tison qui permettent seulement le passage des piétons. La porte de la Tranchée est jugée inadaptée à la circulation de véhicules car trop étroite et instable comme en témoigne ce fait retranscrit dans les délibérations municipales de 1763 : « Malgré les grappins de fer qui les tiennent, les parapets sont tombés dans le fossé à cause des boutons des roues des grosses voitures. » La porte de Pont-Achard, quant à elle, est si étroite qu’un cheval chargé ne peut la franchir.
La destruction progressive de l’enceinte médiévale de Poitiers
L’étroitesse et la rudesse de ses rues ne font qu’augmenter l’aspect médiéval et désuet qui caractérise la ville. Ce désordre urbanistique ne s’accorde guère avec les nouveaux critères d’aménagement de ce siècle qui donnent la préférence aux larges boulevards dont les façades suivent un alignement parfait. Afin de renforcer l’autorité royale et de moderniser le territoire, de grandes routes royales font leur apparition au xviiie siècle. En provenance de Paris, la route d’Espagne traverse Poitiers en son centre. Ce long et étroit chemin est la cause de nombreux désagréments pour les Poitevins, les postes et les voyageurs s’essayant à la traversée de la ville. La solution, selon Trudaine, ingénieur des Ponts et Chaussées, serait d’élargir les rues concernées. Toutefois, cette idée est rapidement écartée en raison des réticences des Poitevins.
Un autre épisode relaté par R. Crozet met en évidence le problème de l’étroitesse des portes de la ville. En 1762, Choiseul, alors ministre de la Marine, informe la Bourdonnaye de Blossac du passage par Poitiers de deux ancres de marine à destination de Bordeaux. Informé de l’étroitesse des portes, le ministre entend les élargir à moins qu’un contournement du centre ne soit possible. Finalement, la traversée est annulée.
Cela a cependant fait germer dans l’esprit de l’Intendant de la généralité de Poitiers l’idée d’une possible déviation qui éviterait ainsi tout désagrément humain et financier. En 1765, M. Barbier, ingénieur des Ponts et Chaussées, propose à la Bourdonnaye de Blossac les plans d’une nouvelle voie reliant la porte de Paris à la porte de la Tranchée. En 1772, le boulevard qui se veut résolument moderne a déjà amputé la majeure partie ouest des remparts de Poitiers.
1772 est aussi la date à laquelle se termine l’aménagement du parc de Blossac sur l’enclos des Gilliers ainsi que la construction du boulevard sous ses murs. Approuvés en 1753, les plans de l’ingénieur Bonichon exposent la conservation de la base des murailles sud et est du parc en tant que murs de soutènement.
Édifiée à partir de 1778, le Pont Neuf à défaut d’être relié à des routes modernes, l’est à des chemins de terre. Il apparait pressant en 1786 de faire la jonction entre la porte de Paris et le Pont Neuf afin de relier au réseau routier la route de Limoges et de Chauvigny. La création de ce segment nécessite la destruction de la section nord-est de la muraille poitevine. Seuls les remparts qui bordent le Pré l’Abbesse y échappent.
Reste à entreprendre l’aménagement de la portion entre le Pont Neuf et la porte de la Tranchée pour finir le contournement de Poitiers. Réalisé à la toute fin de la Révolution française, un boulevard relie le Pont Neuf, le Pont Saint-Cyprien et la fausse porte de Tison.
En raison de leur étroitesse et de leur mauvais état de conservation, les portes de la ville de Poitiers sont progressivement détruites dans la seconde moitié du xviiie siècle. L’année 1786 marque la démolition des deux principales portes fortifiées de la ville de Poitiers, à savoir celles de la Tranchée et de Paris. Deux grilles sont installées en remplacement des deux portes en 1786. En outre, la destruction de la porte de la Tranchée s’inscrit dans un vaste plan urbanistique qui donne la prévalence à une place circulaire rejointe par une avenue au sud et par un escalier au nord qui ouvre sur le parc de Blossac. L’architecte du comte d’Artois, Vétault de la Jubaudière fait édifier en 1789 deux pavillons d’octroi qui encadrent la nouvelle grille.
Pour autant, la ville de Poitiers au xixe siècle fait prévaloir son passé et son architecture médiévale en parant de 1849 à 1850 l’entrée de la nouvelle ligne Paris-Bordeaux d’une porte, rehaussée en son centre des armoiries de la ville, imitant le style des portes de la ville médiévale détruites moins d’un siècle auparavant.
Archives municipales de Poitiers, Registre de délibérations du conseil municipale n°168, 13 juillet 1761 et n°180, 10 décembre 1764.
Archives municipales de Poitiers, Registre de délibérations du conseil municipal n°178, 28 février 1763.
Archives municipales de Poitiers, Registre de délibérations du conseil municipal n°181, 4 mai 1767.
En savoir plus : “Promenades poitevines & littéraires”, L’Actualité Poitou-Charentes, n° 85, pp. 98–99.
Cet article a été réalisé lors d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique dans le cadre du master histoire de l’art, patrimoine et musées de l’université de Poitiers.
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