Jean-Louis Dumiot, 50 ans de Fusion

Jean-Louis Dumiot. Photo Isabelle Fortuné / Université de Poitiers.

Par Océane Charruyer

C’est à l’âge de vingt-et-un an que l’artiste Jean-Louis Dumiot se fait connaître, grâce à la création de l’œuvre pour l’université de Poitiers. Fusion, tel est son titre, est réalisée en 1967. Cette peinture-sculpture est destinée à encadrer l’entrée de l’amphithéâtre de la nouvelle unité de formation et de recherche de Droit et Lettres du campus universitaire de Poitiers, il est ensuite installé à l’intérieur de celui-ci.

Le plasticien, naît à Poitiers en 1946 où il passe son enfance. Ses parents sont fabricants de chemises sur-mesure et possèdent un atelier situé Grand-Rue. Jean-Louis Dumiot, se destine dans un premier temps à devenir musicien. Mauvais élève, il est renvoyé de plusieurs établissements entre le collège et le lycée. « J’ai toujours été un peu marginal : je jouais du rock’n’roll, je voulais même devenir professionnel, je jouais avec un groupe d’amis et on l’était presque. », nous confie-t-il. Finalement, il entre à l’École des Beaux-Arts de Poitiers puis suit une formation à Tours. « J’ai suivi la formation des Beaux-arts. Mais c’était surtout pour devenir enseignant, mais je ne voulais pas enseigner ! » Déçu par l’enseignement dispensé, il façonne sa propre technique de réalisation artistique, influencé par l’art italien et le travail du sculpteur d’Alexander Calder. L’artiste affectionne particulièrement le grand format : « J’aime faire des choses qui dérangent, développer ma propre technique. » Il ne veut appartenir à aucun courant artistique, mais cherche à se démarquer. Lors de l’inauguration de sa restauration le 10 octobre 2019, l’œuvre de l’université est placée à l’extérieur de l’amphithéâtre de part et d’autre de la porte d’entrée. Fusion, est à nouveau valorisé par son emplacement ; à la vue des étudiants empruntant les couloirs du bâtiment, et grâce à la nouvelle exposition sur deux pans de murs mis en lumière.

L’œuvre révélatrice d’un talent

Fusion est une création abstraite et expérimentale dans la carrière de l’artiste. Cette réalisation a longtemps été considérée comme une production au titre du « 1 % artistique », mais ce n’est pas le cas. Lors d’une construction, d’une extension ou encore d’une réhabilitation d’un bâtiment public, excepté quelques cas particuliers, un pour-cent du coût hors taxes prévisionnel des travaux doit être réservé pour l’acquisition d’une ou plusieurs œuvres d’art à un artiste vivant, conçue spécialement pour être intégrée dans la construction ou ses alentours. Fusion n’appartient finalement pas aux acquisitions d’œuvres au titre du « 1 % artistique », puisque jeune créateur, Dumiot est repéré par le fils Ségeron, homme influent ayant le monopole sur le mobilier de l’université. Grâce à ses relations, il introduit Dumiot sur le chantier de la Faculté de Droit et Lettres du campus, actuellement UFR de Droit et Sciences sociales. La maquette que propose l’artiste est immédiatement acceptée par le concepteur de mobilier et le personnel de l’université. Toutefois, l’architecte en charge de la construction, Jean Monge, n’est pas informé de ce choix et se montre réfractaire. Il aurait préféré concéder la réalisation de l’œuvre à un artiste parisien. Cependant, malgré les mécontentements de quelques personnes, Jean-Louis Dumiot réalise son œuvre en trois mois seulement. Fusion, est une œuvre en deux panneaux symétriques alliant différents matériaux et techniques de réalisations. Le diptyque se compose d’alliage métallique (cuivre, laiton, fer), de gomme-laque et de résine. L’artiste expérimente plusieurs techniques : « J’ai d’ailleurs failli me brûler ou bien mettre le feu à l’atelier. Je mettais de l’alcool à brûler sur la sculpture et j’y mettais le feu. Mais comme c’était du bois, ça pouvait vite dégénérer. C’est le rendu qui importait. » Le titre de l’œuvre a été donné bien des années après. C’est au moment de la restauration, en 2019, que l’artiste est sollicité pour lui « affubler » un nom. Le rendu étant volcanique et Dumiot ayant risqué de prendre feu comme son œuvre, il décide de lui attacher le titre Fusion, comme pour symboliser l’esprit fusionnel entre le créateur et sa création. L’œuvre alimente les critiques, les détracteurs laissant entendre qu’elle est vouée à être éphémère et sera détruite après quarante-huit heures. Pourtant, elle a perduré jusqu’à nos jours. Cependant, elle avait besoin d’une restauration car, certains étudiants ont abîmé le diptyque en le rayant avec leurs clés, ou encore en amputant un morceau de l’alliage. Le restaurateur d’art, en accord et avec l’aide de Dumiot, a remplacé le morceau manquant. En revanche, certaines interactions d’étudiants ont été laissées, comme la torsion de quelques tiges de fer ; « témoignage de mai 1968 et de l’esprit révolutionnaire » de cette époque.

L’évolution de carrière : dans la certitude, les doutes

Après 1967, il part pour Grenoble où il vit, enfin, de ses réalisations. La ville organisatrice des Jeux-Olympiques d’hiver en 1968, est favorable à l’emploi et de nombreux promoteurs immobiliers proposent des projets de décoration intérieure pour les nouvelles constructions. Dumiot réalise de nombreuses fresques pour les halls des diverses constructions neuves : des œuvres toujours monumentales. Ensuite, il part pour quelques temps à Saint-Tropez grâce à l’un des promoteurs avec lequel il a travaillé à Grenoble. Puis, il s’installe à Nice où il élabore la conception de décors pour le théâtre et le cinéma. Après quarante ans à Nice, il décide de revenir dans sa ville natale : Poitiers.

Jean-Louis Dumiot a réussi à vivre de son art pendant près de trente ans, « J’ai des moments de doutes tout le temps. Je pense qu’il ne faut pas avoir de convictions dans ce métier. Seuls ceux qui sont sûrs d’eux peuvent en avoir. Il faut quand même avoir un minimum de confiance en soi, tout en sachant se remettre en question perpétuellement. » Aujourd’hui à la retraite, le récent regain d’intérêt pour l’œuvre Fusion le surprend et le stimule. Le plasticien dit à ce propos : « Je suis très étonné de l’intérêt qu’on porte à cette œuvre après tant d’années ! Et j’ai été aussi ravi qu’elle soit restaurée, parce que je l’avais déjà proposé, il y a quelques années, mais ça ne devait pas encore intéresser le personnel universitaire. L’engouement autour de l’œuvre me donne à nouveau envie de créer. »

Cet article a été réalisé lors d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique dans le cadre du master histoire de l’art, patrimoine et musées de l’université de Poitiers.

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