Héritages d’orfèvres
Par Amélie Ringeade
Dans un atelier d’orfèvre, tout est conçu pour ne pas perdre un milligramme de métal précieux. Le sol est couvert de caillebotis pour ne pas marcher sur les particules tombées au sol, qui s’incrusteraient alors dans la semelle des chaussures. Les tables en chêne massif sont disposées au bord des fenêtres pour profiter de la lumière du jour. Sous chaque alvéole de travail, un cuir d’établi en peau de chamois permet de récupérer tout ce qui peut éventuellement tomber. Souvent, le travail de l’or se fait dans les maisons, et la poussière d’or s’incruste partout, dans les rideaux, sur les meubles et la tapisserie. «Tous les dix ans environ, l’ensemble du mobilier est brûlé pour extraire le métal précieux. Cela permet de récupérer jusqu’à 12 kilogrammes d’or», précise Fabienne Texier, conservatrice du musée de Niort et commissaire de l’exposition temporaire Le bijou régional, une spécialité niortaise. Elle se souvient de l’acquisition par le musée ethnographique du Donjon de l’atelier Fromentin en 1992. «Cet atelier, créé au XIXe siècle par l’orfèvre Charles Quantin, ressemblait toujours aux descriptions faites dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (1751 et 1772). Les outils et techniques sont restées les mêmes pendant plus de deux siècles !»
Découverte inattendue
Un moment fort de cette acquisition fut la découverte de près d’un millier de matrices, des moules à bijou taillés dans du plomb. Souvent, lorsqu’elles ne sont plus utilisées, elles sont données à des ferrailleurs. La conservatrice du musée avait tout de même la conviction qu’elle pourrait en retrouver dans les espaces de vie et de travail de l’orfèvre. Elle est retournée plusieurs fois fouiller l’atelier, la cave et les différentes pièces de la maison. Elle a fini par chercher dans la buanderie qui servait de stock à de nombreux objets éclectiques. En déplaçant toute la réserve de pommes de terre annuelle du nouveau propriétaire, elle y a trouvé la caisse remplie de matrices. Le transport de ces objets a ensuite nécessité toute une organisation logistique, en effet une matrice pouvant faire huit kilogrammes, le poids de l’ensemble est de plusieurs tonnes.
Dès le XVIe siècle, l’orfèvrerie s’implante à Niort. Mais la période d’activité la plus importante est le XVIIIe siècle avec plus de cinquante orfèvres. Au musée Bernard d’Agesci, l’exposition présente une partie de ses collections pour rappeler cette spécialité oublié de la ville. «Il s’agit de présenter un savoir-faire et aborder les sciences et techniques, il y a aussi une grande dimension d’ethnographie, et évidemment c’est une exposition d’objets d’art.»
L’arrivée de la porcelaine en Europe modifie la production des orfèvres, la vaisselle en argent n’est plus essentielle, la production se diversifie donc avec des ornements de meubles et de vêtements. Le bijou se démocratise. Cet objet précieux et populaire à la fois est chargé d’une symbolique forte. Chaque étape de la vie est représentée par une nouvelle pièce. Les formes particulières selon les régions permettent aussi d’affirmer une appartenance locale. «On ne dit pas son statut, on le montre.» L’importance du bijou étant la symbolique, les bagues sont rarement serties de pierres précieuses et parfois les paysans les plus pauvres pouvaient fabriquer leur bijou avec de la paille dont la couleur dorée symbolise l’or.
Avec la Première Guerre mondiale, la culture change, le bijou perd de son intérêt. Fromentin qui rachète la maison Quantin-Aubineau en 1925, adapte sa pratique à la culture du XXe siècle. Il diversifie ses produits, apparaissent alors des dés à coudre, coupe-papiers et toutes sortes d’objets du quotidien. Il continue de proposer des bijoux régionaux dans toute la France. Cela satisfait une nouvelle clientèle qui, avec le début des congés payés, recherche des souvenirs et cadeaux de vacances.
L’exposition montre plusieurs tableaux pour illustrer la manière dont étaient portés les vêtements et bijoux. «La plupart sont peint par des artistes très peu connus, en général nous ne gardons pas ces tableaux pour la qualité de la peinture mais plus comme des documents d’archives. Ils nous permettent de voir des portraits de personnes qui ne sont pas issues d’une haute classe de la société.» Le manque d’intérêt pour ces tableaux rend leur conservation parfois difficile, la création de l’exposition a permis de financer la restauration de dix d’entre eux.
L’exposition “Le bijou régional, une spécialité niortaise” est à visiter jusqu’au 10 janvier 2021 au musée Bernard d’Agesci à Niort. Ouverture au public tous les jours sauf le lundi.
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