François Dubasque – Jacobin, départementaliste, modérément régionaliste
Par Jean-Luc Terradillos
En 1964, le pouvoir gaulliste crée les Commissions de développement économique régional (Coder). «Certains y voient le point de départ du processus de décentralisation, d’autres y voient un élément supplémentaire d’ancrage dans leur terre d’élection», affirme François Dubasque, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Poitiers, co-organisateur du colloque sur François Mitterrand et les territoires à l’Espace Mendès France.
L’historien analyse l’action des Coder en comparant l’action de deux hommes politiques originaires de la Charente, membres de la FDGS donc opposants au régime, à savoir François Mitterrand en Bourgogne et Félix Gaillard (1919–1970) en Poitou-Charentes. Leurs parcours diffèrent dès 1946. Félix Gaillard bâtit son ascension politique sur son seul mandat de député de la Charente (il occupera des fonctions ministérielles et deviendra président du Conseil en 1957–1958) tandis que François Mitterrand exerce aussi les mandats de maire et de conseiller général qui lui sont chers. François Dubasque relève cette page du Journal pour Anne : «Le 2 mai 1966, il colle une vignette sur laquelle est mentionnée “la Nièvre en Bourgogne” et à côté il ajoute : “Rien d’autre pour ce jour-là sinon que je suis devenu l’élu local consciencieux que je n’aurais jamais imaginé il y a vingt ans.” »
Mobiliser les « forces vives »
L’objectif des Coder étant de mobiliser les «forces vives» des régions, le dialogue est plutôt courtois et dépolitisé pendant deux ans, pour laisser place au scepticisme. Le 26 mars 1966, dans son rapport général, François Mitterrand met en garde « contre un sentiment d’inutilité qui entraînerait très rapidement une profonde désaffection à l’égard d’une régionalisation qui n’apparaît pas moins nécessaire ». Après mai 68, il dénonce une supercherie du pouvoir, reprend à son compte la thématique du PSU sur la colonisation de la province par l’État, plaide pour de nouvelles régions, élues au suffrage universel et à la proportionnelle, dotée d’un réel pouvoir exécutif.
« Le parcours de François Mitterrand et de Félix Gaillard au sein de leur Coder respective illustre à la fois les caractéristiques et les limites de la réforme régionale initiée en 1964, souligne François Dubasque. Les notables locaux et élites départementales ont rapidement investi les centres de décision régionaux pour asseoir leur ancrage territorial, mais la création de la Coder a eu des effets inattendus. Elle a induit de nouvelles logiques et des recompositions dont François Mitterrand et Félix Gaillard sont chacun les représentants dans deux voies divergentes. Félix Gaillard, c’est la voie de la gestion des territoires qui sera appelée à une certaine postérité, qui sera appelée également à une forme de consensus transpartisan qu’il tente de mettre en place à la fin des années 1960, mais dans l’immédiat qui apparaît quand même comme un détachement vis-à-vis de l’héritage de ce qui a été le mode de gestion politique des territoires hérité de la IIIe République. François Mitterrand c’est le cheminement inverse à la fin de la période. Il y a la sensibilité personnelle à l’histoire et à la géographie, notamment celles du Morvan ; il y a sa fine connaissance de son fief électoral qui a développé chez lui une attention particulière aux réalités locales ; il y a des influences diverses ; et il y a des mandats locaux, des responsabilités aux différents échelons territoriaux, y compris régional, qui ont nourri une réflexion qui est beaucoup plus complexe sur la décentralisation qu’on a bien voulu le dire parfois, en caricaturant un peu vite un François Mitterrand qui serait jacobin et départementaliste. Il est modérément régionaliste. »
Voir également dans Sud-Ouest le 8 juillet 2010 : Il y a quarante ans, Félix Gaillard disparaissait.
La fiche de Félix Gaillard sur le site de l’Assemblée Nationale.
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