Éditions Pierre Mainard, la passion du toucher
Entretien Laurine Rousselet
En 1999, Stéphane Mirambeau, exigeant et passionné, crée les éditions Pierre Mainard recouvrant une diversité culturelle palpitante, un éclectisme certain à Nérac dans le Lot‑et‑Garonne. Si la forme brève demeure son domaine de prédilection, il consacre l’existence de plusieurs genres littéraires : de la nouvelle à l’aphorisme, de la poésie au récit, etc. Le catalogue de l’éditeur met à l’honneur une trentaine d’auteurs.
L’Actualité. – En 1999, vous créiez votre maison d’édition. Quelles sont les principales raisons qui vous ont amené à le faire ? Qu’en est-il de l’élan initial ?
Stéphane Mirambeau. – À l’époque, j’avais maille à partir avec la notion de travail que je considérais comme aliénante : je dis bien «travail» et non «métier», c’est-à-dire une manière de faire art, d’être artisan, ce qui signifie que l’on apprend toute sa vie. Je cherchais une voie dans laquelle je pouvais être indépendant et «faiseur». Les livres occupaient alors une place importante, ainsi que certains constats en matière d’écrit et d’édition. J’adhérais pleinement à l’idée de Paul Éluard qui après la lecture d’un texte de Claude Roy se terminant par l’affirmation qu’il fallait «faire de sa vie un chef‑d’œuvre», réfléchit et lui dit doucement : «Non, c’est de la vie des autres qu’il faut faire un chef‑d’œuvre.»
Je décidais alors de créer une société où je pouvais exercer un métier et éditer ce qui correspondait à mes idées… mais quelquefois, comme l’écrit avec justesse Pierre Cendors, je me demande s’il «existe ici‑bas une liberté qui rend libre.»
Pourtant, vingt années sont passées et il me semble n’avoir rien lâché de l’envie première. Je crois même qu’elle s’est renforcée. Au point qu’il y a deux ans, j’ai abandonné toutes mes activités professionnelles pour m’occuper uniquement de Pierre Mainard et ce choix m’émeut plus que jamais.
Votre maison embrasse une diversité littéraire certaine : de Miguel Torga à Anne‑Marie Beeckman, de Véronique Gentil à Jean‑Yves Bériou, de Lucien Suel à Machado de Assis Joaquim Maria, etc. Comment définiriez-vous le lien qui vous unit à vos auteurs, qu’ils soient contemporains ou publiés à titre posthume ?
Ce lien est circonstanciel, poétique, fidèle et parfois dévoile quelques synchronicités et même scelle des amitiés.
Lorsque, par exemple, Joël Cornuault m’a proposé «Orphée Rebelle» de Miguel Torga pour la collection Xénophilie que nous co‑dirigeons, j’ai trouvé, outre la qualité indéniable des poèmes, que ce projet faisait écho à quelque chose de très personnel. En effet, Claire Cayron, qui a fait découvrir l’œuvre de Torga en France et, pendant vingt-sept ans, fut son unique traductrice en français, a été mon professeur de littérature. Quand on connaît mon parcours, cela n’est pas anodin.
En 2017, pour quel motif avez-vous édité l’ouvrage bilingue Filiation obscure de Peláez Juan Sánchez, une sommité de la littérature vénézuélienne ?
C’est Jean‑Yves Bériou qui m’a fait découvrir Peláez en me soumettant Filiation obscure qu’il a traduit avec Martine Joulia. Il avait connaissance de la collection bilingue Xénophilie chez Pierre Mainard, il a donc supposé que ce poète pouvait m’intéresser.
Raconte la traversée, laisse-là la pudeur. Tu n’es ni branche d’arbre,
ni bourgeon, ni silence. Tu n’es pas inutile au pays du vent.Si tu viens d’un homme et d’une femme, promène le fantôme
et l’auréole terrestre sur ta tête, telle l’eau sur un merle.
Alors pour quel motif ? Eh bien, je ne résiste pas à l’envie d’éditer un poète qui écrit de tels vers et encore moins quand je sais qu’il est inconnu en France… n’est-ce pas encore une part du travail d’éditeur que de révéler ?
Laurent Albarracin, né en 1970, peut être considéré comme un jeune poète. Vous avez fait paraître Plein vent (2017) et Le Déluge ambigu (2014). Selon vous, en quoi tient la force de sa poésie ?
Sa poésie est une réjouissance, tour à tour savante, drôle, savoureuse et joueuse.
Une trentaine d’auteurs figurent dans votre catalogue dont sept poétesses. Quel regard portez-vous sur ce constat ?
Elles sont même moins que ça : certaines se sont invitées qui n’en sont pas. Je n’ai jamais prêté attention à ce constat, cela tient, peut-être, au fait que vous dîtes poétesses alors que je pense poètes.
Mais puisqu’on en parle, il me faut dire qu’Anne‑Marie Beeckman est l’oiseau fidèle qui toque à mes paupières, Véronique Gentil peint le jour sur le dos d’un âne, Nadia Porcar dit de Nous ce qu’il y a de sensible, Marie‑Élisabeth Caffiez et Micheline L. m’embrouillent, etc.
Pouvez-vous nous présenter les livres à paraître ?
Deux livres à paraître pour octobre/novembre 2018 :
Frontières du monde habité, Alexandre Pierrepont, préface de Jean‑Yves Bériou, dessins de Massimo Borghese. Un ensemble de poèmes vertigineux, denses, aux accents précis et coupants, où les images affleurent et hantent les fantômes de l’amour, du désir, de la révolte, de la communauté, de la solitude, de la nature et des animaux, de la douleur et de la mélancolie.
Ta prairie tant est plus, Joël Cornuault, dessins de Jean‑Marc Scanreigh. Des poèmes d’amour sensuels, par touches discrètes, secrètes, ils effleurent à peine l’objet même du désir. Et ainsi, d’allusion en allusion, d’effleurement en baisers, de caresse en mordillement, ils modèlent sous nos yeux un corps tendre et lourd d’abandon.
La question du lecteur, par son implication, revêt une importance capitale à vos yeux. De quelle manière la caractérisez-vous ?
Entendons-nous bien, il doit y avoir en France quelque chose comme 5 000 lecteurs de poésie. J’entends par là des gens qui lisent véritablement. En revanche, il y a quelques dizaines de milliers de personnes qui décrètent écrire de la poésie mais, pour une grande part, ne la lisent pas ! Je publie donc pour une tribu de gens sincères, attentifs, sensibles, qui n’ont pas peur d’avoir les jambes qui tremblent, des gens au fond, sans doute, encore vivants qui, comme moi, doivent aimer «avoir le goût des autres dans la bouche», pour paraphraser Pierre Peuchmaurd.
Les pratiques usuelles de gestion éditoriale à travers la diffusion et la distribution, ne vous concernent pas. Donnez-nous à connaître votre réalité quant à la commercialisation physique de vos livres.
Ce n’est pas tout à fait exact. Depuis 2017, les livres de la maison sont distribués par le comptoir SPE à Paris, sans quoi je ne pourrais pas m’en sortir ! La diffusion, c’est-à-dire la commercialisation auprès des libraires, reste en revanche une des multiples tâches que j’accomplis. C’est un travail énorme, mais impensable autrement pour un catalogue comme le mien. En effet, il faut assurer et maintenir un lien avec les libraires sans quoi on disparaît très vite, confrontés que nous sommes à la grande cavalerie éditoriale, à la réduction voire la disparition des rayons de poésies (d’ailleurs il y aurait nécessité à réfléchir sur la formation des libraires à ce sujet). De cette gestion, s’ensuit une couverture moindre en termes de points de vente par rapport à celle que m’offrirait un diffuseur, en revanche je ne subis quasiment pas de retours et je peux à chaque visite chez un libraire replacer des ouvrages du fonds, ce qu’un diffuseur ne fait pas.
La forme littéraire sous la conduite de la forme brève demeure votre terrain de prédilection. Qu’y cherchez-vous ? À titre d’exemples, mentionnons les beaux recueils d’aphorismes Expertise (2007) d’Olivier Hervy et Le papillon et la poutre de Fernández Moreno Baldomero (2002).
La forme brève ne restreint pas la pensée et encore moins la rêverie, bien au contraire elle les élargit, mais je n’y cherche rien de particulier : seulement elle m’ouvre à moi-même alors je la reçois et je la transmets… Voyez ! J’ai passé ce dernier mois estival à ruminer cet aphorisme de Pierre Peuchmaurd : «En été le moi doute.» puis j’ai fini par admettre qu’il fallait «se la couler rousse.», c’est peu, ce n’est pas grand-chose, mais cela suffit à apaiser ce que j’attends et qui ne vient pas.
Les auteurs que vous citez en exemple incarnent des voix très différentes et chacune séduit par son talent à décocher des flèches, et l’air qu’elles parcourent est parfois plus captivant que la cible.
Quel serait votre désir le plus ardent à réaliser s’agissant de l’acte éditorial ?
Mon seul vœu, le plus ardent : pouvoir continuer longtemps à composer ce bouquet éditorial.
Éditions PIERRE MAINARD
18, rue Émile Fréchou
47600 NéracTél. 05 53 65 93 92
www.pierre-mainard-editions.com
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