Des lettres et des mathématiques

Deux zooms sur un maillage qui représente un organe et la représentation 3D d’un scalpel après incision dans l’organe. Image Philippe Meseure.

Images structurées

En quoi consiste vos travaux de recherche ?

J’ai fait ma thèse dans une équipe d’analyse d’images (à Bordeaux) et maintenant je travaille dans une équipe orientée modélisation. Dans ces deux domaines, on a besoin de donner du sens aux données image que l’on manipule. Par exemple, en analyse d’images, on va chercher à extraire les différents éléments représentés dans l’image, voire à les reconnaître (est-ce que l’ordinateur peut déterminer si une image représente une tasse à une anse ou deux anses par exemple ?). En modélisation, on va chercher à construire un objet qui satisfait certaines contraintes structurelles (par exemple, construire un volume plein ou un volume creux). Le point commun entre ces domaines, en ce qui me concerne, est que les outils informatiques que l’on développe et les fondements mathématiques sur lesquels on s’appuie sont semblables. Les objets sont représentés via ce qu’on appelle des structures cellulaires (par exemple, des ensembles de triangles, ou bien des ensembles de cubes judicieusement collés entre eux mais ce peuvent aussi être d’autres « briques » que l’on assemble). L’information structurelle qui nous intéresse concerne le nombre de trous contenus dans les objets (en 3D par exemple, le nombre de morceaux de l’objets, le nombre de tunnels traversant, ou de cavités). Le lien entre les domaines d’analyse d’image et modélisation est assez naturel et dans certains cas, la modélisation se fait même à partir de données extraites d’une analyse d’images, on parle alors de reconstruction (par exemple, dans le domaine médical, reconstruire des modèles 3D d’organes à partir d’images issues de différentes modalités d’acquisition). Enfin, on peut noter que ces approches ne sont plus limitées au domaine de l’image mais sont de plus en plus utilisées en analyse de données au sens large, dès lors que l’on peut définir une notion de proximité et donc une géométrie sur ces données. Dans ce contexte, les données peuvent tout à fait être représentées dans des espaces de dimension supérieure à 3. Nous ne nous sommes pas encore penchés sur ce genre de problématique mais cela fait partie des perspectives.

Existe-t-il des applications pratiques à ces travaux ? Ou sont-ils plus de l’ordre de la recherche pure pour l’instant ?

L’extraction des informations peut être utile dans différents domaines. Par exemple elle permet de vérifier que certaines pièces sont bien fabricables lors d’impressions 3D, ou qu’elles ne possèdent pas de propriétés qui sont possibles sur un ordinateur mais irréalisables en réalité. C’est le cas de la bouteille de Klein, un objet 3D que l’on ne peut pas représenter dans un monde en trois dimensions. Une autre application très intéressante est basée sur l’utilisation de simulateurs d’opérations chirurgicales. Ces derniers utilisent un bras à retour de force pour tenir le scalpel tandis que des formes 3D permettent de représenter l’opération sur un écran. Lorsque l’apprenti chirurgien coupe l’une des formes, le bras donne l’impression que la coupe a vraiment eu lieu. Malheureusement, ces simulateurs sont très gourmands en puissance de calcul et des erreurs peuvent se glisser dans les résultats. En fait ce qui nous intéresse c’est plutôt de permettre au simulateur de détecter ce qui se passe lorsqu’une coupe est faite avec le scalpel. Par exemple si le scalpel a coupé un organe en deux parties non connectées ou bien s’il a créé un orifice vers l’extérieur d’un organe, cela peut être ennuyeux. Il vaut mieux que l’apprenti chirurgien soit averti dès que ce type de changement se produit et qu’il puisse comprendre précisément quel geste de sa part a créé cette situation. Nos recherches consistent à compléter les solutions déjà existantes. En comparant les résultats de notre méthode avec ceux déjà présent, nous devrions réussir à supprimer les erreurs.

Processus de construction d’objets représentés à l’aide de modèles cellulaires, il s’agit d’une « tête de singe » (un modèle 3D classique associé au logiciel Blender appelé Suzanne) construit à partir de 3 morceaux distincts petit à petit recollés entre eux. Image Wassim Rharbaoui.

Avez-vous déjà envisagé d’effectuer vos recherches à l’étranger ?

Lors de mes études je suis restée en France pour conserver une certaine proximité avec mes parents, mais j’ai failli aller à l’étranger dans le cadre d’un contrat post-doctoral. On m’a proposé un poste de titulaire à Poitiers à la même époque, je n’y suis donc jamais allée. Je me suis bien sûr rendue plusieurs fois à l’étranger pour des conférences mais je préfère rester proche de mes enfants tant qu’ils sont encore jeunes. Peut-être que lorsqu’ils seront plus grands et si l’opportunité se présente je partirais, cela permettrait de voir d’autres manières de travailler.

En tant qu’enseignante-chercheuse vous donnez des cours en parallèle de vos recherches, quelles sont vos motivations ?

Je trouve qu’il y a quelque chose de très noble dans le partage de connaissances. J’aime aussi beaucoup voir les étudiants arriver en première année et les voir grandir et devenir des femmes et des hommes à part entière au cours de leur formation, même si nous n’observons qu’une très petite part dans cette évolution. D’autre part, recherche et enseignement sont très complémentaires et se nourrissent mutuellement.

Vous participez également à des actions de médiation scientifique, le but est-il le même selon vous ?

La médiation permet effectivement d’expliquer nos travaux d’une façon plus simple. C’est quelque chose d’assez important de savoir expliquer simplement ce que l’ont fait. La médiation est aussi importante pour essayer d’améliorer la vision de l’informatique chez les plus jeunes. Il y a quelques années, il n’y avait quasiment pas de cours dans ce domaine au lycée. Grâce aux actions de différents acteurs et notamment de la Société informatique de France, toutes les classes de seconde vont maintenant pouvoir en bénéficier, une spécialité a été créée en première et terminale et la discipline informatique est enfin reconnue au niveau du lycée avec la création d’un corps d’enseignants dédiés. Le marché du travail est très demandeur en informaticiens mais l’offre n’atteint pas la demande. Permettre aux plus jeunes de découvrir ce monde très tôt est un moyen de le démystifier. Cela pourrait également permettre d’augmenter la part de fille dans les formations, car elles restent encore largement minoritaires. N’oublions pas non plus que l’informatique n’est pas qu’une affaire de spécialistes, elle est présente dans tous les pans de nos vies, personnels et professionnels. Elle s’y incarne dans de très nombreux outils avec des durées de vie variables. Avoir un bagage scientifique minimal en informatique semble être de plus en plus nécessaire pour être en mesure de s’adapter à la versatilité des outils. En effet, contrairement aux outils, les fondements scientifiques sont pérennes. Une telle culture scientifique est également essentielle pour pouvoir imaginer dans son domaine d’activité, voire dans sa vie quotidienne, face à un besoin observé, des nouveaux outils propres à y répondre. Charge ensuite aux professionnels de développer ces solutions. Enfin, de nombreuses questions éthiques se posent autour de l’utilisation intensive d’outils informatiques : se poser les bonnes questions, appréhender ces enjeux impliquent également d’avoir une compréhension suffisante de la manière dont tout cela fonctionne sous le capot.

Est-ce que le fait d’être une femme dans le domaine de l’informatique vous a déjà posé problème ?

Pas vraiment en fait. Lors de ma recherche de stage de fin d’études, les filles de la promo ont même réussi à trouver des offres plus facilement dans certains cas. Malheureusement, cela ne s’est pas toujours vérifié lors du premier emploi, souvent associé par les recruteurs au premier enfant. De mon côté, je n’ai pas eu l’impression d’avoir des difficultés liées à cela, une de mes collègues a été embauchée à l’université alors qu’elle était déjà enceinte et cela n’a pas posé plus de problèmes. À l’université, la rémunération est la même, tout étant basé sur une grille d’avancement. Le seul problème que je constate est que, lors du congé maternité, il n’est pas possible de se mettre à jour correctement sur l’avancement des travaux du laboratoire, et cela peut jouer.

Auteurs

Abdel Hadi Hobballah est doctorant en Électronique des hautes fréquences (H.F.), photonique et systèmes à l’Institut de recherche XLIM de Brive-la-Gaillarde, Université de Limoges. Son sujet de thèse est « Contribution à l’optimisation des réseaux de capteur appliqués aux bâtiments intelligents : Radio-alimentation des nœuds de capteurs », dirigée par Michèle Lalande et Romain Négrier.

Ali Al Dhaybi est doctorant en Photonique fibre et sources cohérentes à l’Institut de recherche XLIM de Limoges. Son sujet de thèse est « Développement de fibres creuses de nouvelle génération pour les régions spectrales du visible et de l’ultraviolet », dirigée par Fetah Benabid et Frédéric Gérome.

Bilal Ghani est doctorant en Traitement du signal et des images au laboratoire d’informatique et d’automatique pour les systèmes (Lias) et l’École nationale supérieure d’ingénieur (Ensi) Poitiers. Son sujet de thèse est « Optimization of ressource allocation for communication systèmes M2M/H2H 5G », dirigée par Yannis Pousset.

Jérémy Hyvernaud est doctorant en Électronique des H.F., photonique et systèmes à l’Institut de recherche XLIM de Brive-la-Gaillarde, Université de Limoges. Son sujet de thèse est « Contribution à la conception de sources de forte puissance : applications aux tests de susceptibilité électromagnétique et à la neutralisation d’engins explosifs improvisés », dirigée par Joël Andrieu et Romain Négrier.

Paul Karmann est doctorant en Électronique des H.F., photonique et systèmes à l’Institut de recherche XLIM de Brive-la-Gaillarde, Université de Limoges. Son sujet de thèse « Conception d’antennes à Agilité de faisceaux, planaires, grand gain, très large bande et à très grande couverture angulaire », dirigée par Joël Andrieu et Edson Martinod.

Article réalisé par des étudiants de l’école doctorale Sismi dans le cadre d’une formation à l’écriture journalistique. Université Confédérale Léonard de Vinci – COMUE UCLdV.

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