Château d’Oiron – la bibliothèque de madame de Montespan

Madame de Montespan en Madeleine, huile sur toile provenant du château d’Oiron, 138 x 202 cm. Photo Frédéric Pignoux - château d’Oiron, CMN.

Par Grégory Vouhé

Il ne subsiste à peu près rien du mobilier de madame de Montespan inventorié à Oiron entre le 22 et le 28 juillet 1707 à la demande du marquis d’Antin, fils légitime de la marquise, par son tapissier. Sur les quarante-quatre folios recto-verso de l’inventaire, ne demeure à Oiron que l’un des deux portraits de madame de Montespan en Madeleine. En juillet 1840, Mérimée le commente de façon plus décolletée que ne l’est la gorge de la pécheresse : « Il y a dans l’hospice d’Oyron, fondé par madame de Montespan, une jolie Madeleine pas trop pénitente de Mignard. On a couvert les nudités d’un barbouillage fort vilain, mais avant cette opération ce devait être un morceau fort apétissant. » Si la toile n’est pas de Mignard, et si le repeint couvre seulement la manche et non son buste, l’ouvrage couvert de gros caractères qu’elle semble feuilleter fait songer aux Pseaumes de David imprimés à Loudun chez René Billault en 1697 par l’ordre de madame de Montespan : « l’impression en gros caractères paraît faite pour une personne dont la vue est très affaiblie », selon une note du légataire de l’exemplaire conservé à la médiathèque de Poitiers. Celui de la bibliothèque de Versailles est relié en maroquin rouge doublé de maroquin citron avec dentelles intérieures. L’exemplaire personnel de la marquise, qui figure dans l’inventaire d’Oiron de 1707 (ci-dessous n° 70), est signalé en 1886 par Ernest Quentin-Bauchart dans Les Femmes bibliophiles de France.

 

Page de titre des Pseaumes de David imprimés à Loudun en 1697 par l’ordre de madame de Montespan, avec ses armes sur la dernière page. Photo Olivier Neuillé – médiathèque de Poitiers.

 

Reliures aux armes

Les livres de madame de Montespan se signalent par leur reliure armoriée de l’époque, le plus souvent en maroquin rouge, y compris les livres de compte (ci-dessous n° 55, 57, 78). Provenance réputée très rare, comme le rappellent les catalogues de vente à la suite de Quentin-Bauchart. Guère plus de soixante-dix-neuf ouvrages1, soit 125 volumes, sont inventoriés à Oiron en 1707, dont une vingtaine seulement reliés en veau rouge aux armes. Madame de Montespan avait reçu en 1679 un rang de duchesse – étant mariée, elle ne pouvait porter un titre de son chef. Sur les vingt-sept bibliothèques de ducs et pairs de France datant de la période 1621–1739, étudiées par Jean-Pierre Labatut, seules 19 % contiennent moins de cent volumes, 62 % de cent à mille volumes. Mais tous les livres de la marquise n’étaient pas conservés à Oiron en 1707 : une bonne partie de ceux passés en vente ces dernières années n’y sont pas inventoriés. Ainsi, la série des Mercure François (vente Alde, 25 juin 2013, lot 355), qui comportait au moins dix-huit tomes, était conservée dans une autre résidence, comme les deux volumes manuscrits de Damoiselet, Messe pour le temps de Caresme jusqu’au samedi de la Passion (bibliothèque de Rouen) et Messes pour le temps depuis le premier dimanche de l’avent jusques au Caresme (vente Sotheby’s du 15 juin 2005). Même chose pour l’Office de la Semaine Sainte, plus modestement couvert en veau brun, passé en vente le 25 novembre 2013 chez Pescheteau-Badin, ou l’Office de la Semaine sainte à l’usage de Rome vendu à Drouot le 25 février 2009 par Thierry de Maigret, attribué avec vraisemblance à madame de Montespan. Celle-ci avait d’ailleurs sûrement apporté avec elle un certain nombre de livres aux eaux de Bourbon, où elle s’éteint le 27 mai. D’autres, en revanche, peuvent être rapprochés de ceux inventoriés à Oiron. D’autant mieux que l’inventaire de 1707, conservé aux Archives départementales des Deux-Sèvres, a été intégralement publié en 2015 dans Oiron au temps de madame de Montespan et du duc d’Antin. On n’en connaissait jusque-là que les extraits lus à la Sorbonne en 1867, reproduits par Pierre Clément l’année suivante puis par Bossebœuf en appendice du compte rendu de sa visite d’Oiron du 14 mai 1888, où tous les livres ne figuraient pas.

 

Tomes IX et XIII du Mercure François aux armes de madame de Montespan, in‑8.

 

Au château d’Oiron

La bibliothèque de madame de Montespan, essentiellement composée de livres de théologie, est comparable à celles de duchesses veuves depuis plusieurs années, consacrées surtout à l’histoire et à la religion. Labatut cite l’exemple de la bibliothèque de Louise-Madeleine de La Marck, duchesse de Duras, inventoriée en juin 1717, et la place importante de la théologie dans celle de Jeanne de Schomberg (1600–1674), duchesse de Liancourt, qui s’éteint six semaines avant son époux. La théologie représente 73 % des livres du duc de Luynes inventoriés en décembre 1684, mais sa bibliothèque était infiniment plus importante que celle de madame de Montespan puisqu’elle ne comportait pas moins de mille cent quatorze volumes. Rien de tel à Oiron, où les livres étaient répartis dans plusieurs pièces, et non dans une pièce spécifique comme au château de Thouars (où 1085 volumes étaient encore conservés en 1790). Dans la chambre joignant la salle basse, un cabinet de marqueterie de bois et d’étain, fermant à seize serrures, contenait les livres les plus précieusement reliés, à agrafes d’or, parfois garnies de diamants (ci-dessous n° 1, 5 et 6).

Dans la chambre de la marquise, une petite bibliothèque contenait trente et un livres, soit quarante-huit volumes, la plupart en veau rouge marqués aux armes, où l’Instruction pour les jardiniers de Jean de La Quintinie (n° 39) se remarque au milieu des livres de piété. Cinq autres se trouvaient dans l’entresol attenant, dont deux de Cornelius Jansenius (n° 42–43). Le grand cabinet d’ébène de l’antichambre de son appartement contenait cinq livres de médecine ou de sciences : la Pharmacopée universelle de Nicolas Lemery, un Cours de chimie du même auteur ou celui d’Annibal Barlet, Le Traité des aliments de Louis Lémery, Le Médecin et chirurgien des pauvres de Paul Dubé et Le Recueil des remèdes faciles de madame Fouquet (n° 45–49). Une vingtaine, enfin, était rangée au garde-meuble, avec quantité d’objets précieux, dont quelques livres d’histoire (L’Histoire de la vie du duc d’Épernon, par Guillaume Girard, La Vie du marquis de Beauvau, c’est-à-dire les Mémoires du marquis Henri de Beauvau [† 1684], etc.) et des contes : Les Contes des contes, de Charlotte-Rose de Caumont La Force, les Contes nouveaux ou les fées à la mode de la baronne d’Aulnoy, Les Contes des fées de la comtesse de Murat (n° 71–73). Il est souvent impossible de déterminer l’édition que possédait la marquise parmi celles qui étaient disponibles, d’autant que le format n’est jamais précisé, à l’exemple des Délices de l’esprit de Desmarets de Saint-Sorlin (n° 59), de La Manière de bien entendre la messe de paroisse d’Harlay de Champvallon (n° 75), des traductions d’Arnauld d’Andilly (Les Confessions de St Augustin, Histoire des juifs, La Vie des Saints Pères des déserts, n° 12, 19, 67) ou du sieur de Saligny (Les Conférences de Cassien, n° 15). Parmi les lectures de la marquise, on peut encore citer Le martyrologe des chevaliers de Malte de Mathieu de Goussancourt (n° 58), la Vie de St Chrysostome de Godefroi Hermant (n° 18), les œuvres de Louis de Grenade : Le Catéchisme, La Guide des pêcheurs (n° 9, 14)…

 

Mémorial de Grenade, provenant de la bibliothèque de madame de Montespan au château d’Oiron, in‑8, 19 x 13,5 cm.

 

Proviennent sans doute de la chambre de madame de Montespan à Oiron le Mémorial de la vie chrestienne de Grenade (1666–1667, n° 11, 20), qui figurait au catalogue de la librairie P. Sourget en 1998, et le volume des Stances Chrestiennes sur divers passages de l’Escriture Sainte et des Pères (1675, ci-dessous n° 30), passé en vente chez Sotheby’s le 26 novembre 2009. Ces volumes sont reliés en maroquin rouge, à triples filets dorés encadrant les plats, ou à encadrement plus élaboré à la Du Seuil, avec armes frappées au centre et chiffre AFR couronné aux angles et sur le dos. Les tranches sont dorées.

 

reliure livre couverture rouge blason

Stances Chrestiennes provenant sans doute de la bibliothèque de madame de Montespan au château d’Oiron, in-12, 16 x 9,5 cm.

Livres dans l’inventaire de madame de Montespan de juillet 1707

Dans la chambre joignant ladite salle [basse], appelée de monsieur de Poitiers :
Un cabinet de marqueterie et en étain fermant à seize serrures […] Ouverture faite du bas tiroir du milieu s’est trouvé
[1] un livre intitulé Office ou pratique de dévotion de l’année 1680, sur la couverture par dedans sont les armes de ma dite dame enrichies de plaques d’or et diamants fins, la couverture de chagrin avec des agrafes d’or. […]

Dans une autre layette [= tiroir (ou coffret)] s’est trouvé
[2] un livre intitulé L’Office de la sainte messe,
[3] un livre intitulé L’Imitation de Jésus Christ,
[4] un autre de L’Office de la semaine en trois volumes,
[5] un intitulé L’Office et pratiques de dévotion, une agrafe d’or garnie de diamants,
[6] un autre intitulé L’Office de l’Église, avec des agrafes d’or avec sa couverture verte. […]

Dans un autre tiroir s’est trouvé […]
[7] un livre intitulé Prières pendant la messe, couvert de chagrin.

Dans la chambre ci-devant occupée par les faïenciers de Nevers :
[8] huit livres d’Offices et La vie des saints.

Détail de l’inventaire du château d’Oiron de juillet 1707, bas du folio 10 recto : « Item une petite biblioteque de laquelle ouverture faite s’est trouvé… »

Dans la chambre de feue ma dite dame :
Une petite bibliothèque de laquelle ouverture faite s’est trouvé
[9] Le Catéchisme de Grenade en quatre tomes,
[10] L’Abrégé de la vie de Jésus Christ en quatre tomes,
[11] Le Mémorial de la vie chrestienne en deux tomes, par Grenade,
[12] Les Confessions de St Augustin,
[13] Les Sentences de St Augustin en deux tomes,
[14] le livre intitulé La Guide des pêcheurs,
[15] Les Conférences de Cassien en deux tomes,
[16] Traité de l’oraison en deux tomes,
[17] De l’Immortalité de l’âme en deux tomes,
[18] Vie de St Chrysostome en deux tomes,
[19] Histoire des juifs en deux tomes,
[20] Addition au Mémorial de la vie chrestienne,
[21] L’Office de l’Église,
[22] La vie de Jésus Christ,
[23] Motifs de conversion,
[24] Petit office de la Sainte Vierge,
[25] Les livres de St Augustin,
[26] Psaumes à la vulgate,
[27] Épîtres et évangiles,
[28] Psaumes de David en un tome,
[29] Doctrine de l’Église, non marqué des armes de ma dite dame,
[30] Stances chrestiennes,
[31] Méditations des principales obligations du chrestien,
[32] Les Sept méditations de Ste Thérèse, le tout couvert de veau rouge et marqué sur les côtés aux armes de feue ma dite dame.
[33] L’Esprit de l’Église,
[34] Le Missel romain en cinq volumes violets,
[35] Commune santorum,
[36] Les Saintes prières de l’âme chrestienne,
[37] Hymnes pour toute l’année,
[38] L’Office du bon pasteur,
[39] Instruction pour les jardiniers, qui sont tous les livres trouvés dans la bibliothèque.

 

Additions au Mémorial de Grenade, provenant de la bibliothèque de madame de Montespan au château d’Oiron, 19 x 13,5 cm.

Dans l’entresol :
[40] un livre intitulé Morale chrestienne,
[41] un autre intitulé Méditations sur les principales vérités chrestiennes,
[42] Cornelii Jansenii Leerdamensis,
[43] Cornelii Jansenii Episcopi Iprensis Pentateuchus,
[44] Le livre de saint Grégoire le Grand.

Dans l’antichambre :
Un grand cabinet d’ébène de pièces rapportées de métal, les deux fenêtres basses pleines et les deux autres garnies de laiton. Ouverture faite d’une des fenêtres basses à droite s’y est trouvé : […]
[45] un livre intitulé Pharmacopée universelle,
[46] un autre livre intitulé Cours de chimie,
[47] un autre : Le Traité des aliments,
[48] un autre : Le Médecin et chirurgien des pauvres,
[49] un autre : Le Recueil des remèdes faciles.

Au garde-meuble, au haut du grand degré :
Une grande armoire à deux battants de laquelle ouverture faite s’est trouvé […]
Dans une boîte couverte de velours vert […]
[50] un livre intitulé Mémoire de la cour d’Espagne,
[51] un autre intitulé Œuvres mêlées, tome 9,
[52] un autre intitulé L’Histoire de la vie du duc d’Épernon,
[53] un autre intitulé La Vie du marquis (fol. 21 r°) de Beauvau,
[54] un autre : Œuvres royales,
[55] un livre de compte relié en veau rouge marqué aux armes de madame, commençant au 25 juin 1696 et finissant le 26 mai, signé M. de Razilly,
[56] un autre livre de dépense faite par M. Honoré Ruffin à commencer le 20e janvier 1698 et finissant le mardi 9 novembre 1700, dernier article : pour l’office arrêté 66lt 9s payés,
[57] un papier couvert de veau rouge intitulé Affaires de dépenses de madame de Montespan 1700, du même côté marqué aux armes de ma dite dame, fermant à clé. […]

Dans un coffre s’est trouvé
[58] un livre intitulé Le martyrologe des chevaliers de Malte,
[59] un autre livre intitulé Les Délices de l’esprit,
[60] un autre livre intitulé Les Lettres chrestiennes et spirituelles,
[61] un autre : Les Psaumes de David,
[62] La vie du Révérend Père Pierre Fourrier,
[63] onze Heures ou livres intitulés Heures imprimées par l’ordre de monseigneur l’archevêque de Noailles, toutes marquées aux armes de madame,
[64] huit autres livres intitulés Conduite pour la confession et communion […]

Un tiroir […] avec
[65] neuf petits Catéchismes pour l’instruction des enfants imprimés à Paris.

Une grande armoire de bois blanc […] sur une des tablettes […]
[66] le second tome de La Vie des saints.

S’est trouvé dans un grand coffre sans couverture […]
[67] un livre intitulé La Vie des Saints Pères des déserts par monsieur Arnauld d’Andilly en trois tomes reliés en veau,
[68] L’Année sainte en trois tomes couverts de veau rouge,
[69] un livre intitulé Abrégé de la doctrine chrestienne, en veau rouge,
[70] un livre intitulé Les Psaumes de David imprimé à Loudun couvert de veau rouge marqué aux armes de madame,
[71] un livre intitulé Les Contes des contes en deux volumes,
[72] un livre intitulé Les Contes des fées couvert de veau marbré,
[73] un livre intitulé Contes nouveaux ou les fées à la mode couvert de veau marbré,
[74] un livre intitulé Nouvelle traduction des œuvres de Vincent de Lérins et de Salvien contre les hérésies en deux tomes couverts de veau marbré,
[75] un autre livre intitulé La Manière de bien entendre la messe de paroisse aussi de veau marbré,
[76] un livre intitulé Les Psaumes de David en six volumes pour le dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi et samedi, couvert de veau rouge et marqué aux armes de ma dite dame,
[77] La Vie des saints en deux volumes en veau marbré.

Dans une garde-robe à côté [de la haute chambre du pavillon à main droite dans la basse-cour] […]
[78] un livre relié en veau rouge marqué aux armes de ma dite dame de la recette du receveur desdites terres [d’Oiron, Moncontour et Curçay].

1. Non compris les quatre livres de compte et les neuf petits Catéchismes pour l’instruction des enfants imprimés à Paris (n° 65), qui n’appartenaient pas à la bibliothèque personnelle de la marquise. Sans compter à part le second tome de La vie des saints (n° 66). En revanche, comme dans l’inventaire, les Additions au Mémorial de la vie chrestienne (n° 20) sont comptées à part.

 

detail livre peinture

Détail du livre sur le portait de madame de Montespan en Madeleine.

 

Sur le château d’Oiron

« De retour à Oiron », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 119, hiver 2018, p. 56–59.
« Le recueil du duc d’Antin », L’Actualité Poitou-Charentes n° 110, automne 2015, p. 26–29.
« Tombeaux de marbre des La Trémoïlle et des Gouffier », L’Actualité Poitou-Charentes n° 107, hiver 2015, p. 46–47.
« Les Métamorphoses au plafond du château d’Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 106, automne 2014, p. 39.
« Oiron. La chambre du Roi », L’Actualité Poitou-Charentes n° 102, automne 2013, p. 22–25.
« L’orange cultivée au Grand Siècle », L’Actualité Poitou-Charentes n° 93, juillet-septembre 2011, p. 45.
« Oiron. Un visage retrouvé », L’Actualité Poitou-Charentes n° 87, janvier-mars 2010, p. 46–47.
« Oiron. La galerie restaurée », L’Actualité Poitou-Charentes n° 86, octobre-décembre 2009, p.40–41.
« Madame de Montespan à Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 78, octobre-décembre 2007, p. 40–41.

Cet article fait partie du dossier Château d’Oiron.

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