Catherine Guillebaud – Prix de la Voix des lecteurs
Catherine Guillebaud est lauréate de la 5e édition de la Voix des lecteurs pour Le pays vide qui a obtenu 38 votes sur les 71 groupes de lecteurs participants. Organisé par le Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes, le prix est décerné par des groupes d’au moins cinq lecteurs. Il récompense annuellement le livre d’un auteur originaire de la région ou vivant ou travaillant sur le territoire picto-charentais. Des soirées ciné-rencontres en présence des auteurs ont ponctué l’événement en novembre 2015. Cinq livres ont été sélectionnés par le comité :
Le pays vide de Catherine Guillebaud, éditions confluences, 142 p., 2014.
L’homme qui marchait avec moi de Claude Margat, éditions de la Différence, 144 p., 2014.
Mousseline et ses doubles de Lionel-Édouard Martin, Les éditions du sonneur, 294 p., 2014.
Normale saisonnière de Sofia Queiros, éditions Isabelle Sauvage, 84 p., 2014.
Les Anges à part d’Élie Treese, Payot/Rivages, 136 p., 2014.
Par Aurélien Moreau
Le livre de Claude Margat, L’homme qui marchait avec moi, a été chroniqué dans L’Actualité Poitou-Charentes n° 105, 2014.
D’autres articles sur ses livres : Matin de silence, L’Escampette éditions, 2011, et Divin capital, les éditions libertaires, 2011, L’Actualité Poitou-Charentes n° 95, 2012.
Questions de mots, dialogue avec Bernard Noël, les éditions libertaires, 2009. L’Actualité Poitou-Charentes n° 84.
Écrire et disparaître
L’écrivain François Ricci sait son inspiration condamnée. Dix livres publiés, à raison d’un tous les deux ans, le rythme est constant, le système bien rôdé mais les éloges des critiques littéraires le poussent à se perfectionner et produire toujours plus de romans exigeants. Après vingt années de publication, il se demande si son existence, passée à contenter les critiques et à honorer ses contrats, a un sens. Les textes livrés à son éditrice Camille Dauché deviennent de plus en plus courts et complexes. Son quotidien est fait de mensonges, de « compromissions » et de « petits arrangements » comme il les appelle. Il se transforme en « virtuose de la dissimulation » et ne se livre à des amis perdus de vus que lors d’appels téléphoniques incohérents, se réveillant la tête embrumée par l’alcool.
Grâce à une bourse littéraire obtenue par son éditrice, il s’exile à Shibam au Yémen, « terre de vérité, qui rendait aux êtres leur vrai poids et leur vrai visage ». Il retrouve un semblant d’harmonie dans les rues animées par les troupeaux de chèvres, les enfants et l’appel à la prière des muezzins électriques. L’arrivée d’un ingénieur envoyé par l’Unesco pour inspecter les anciennes murailles de la ville viendra troubler cette nouvelle vie.
Catherine Guillebaud avait, dans Exercice d’abandon, créé un huis clos autour de deux couples pris dans des tourments amoureux lors d’une croisière sur le fleuve Mékong. En 2009, Dernière caresse portait un regard sur la condition animale à travers les pensées d’un setter anglais âgé.
Avec Le pays vide, elle interroge la tentation contemporaine de chaque être humain en prise avec les pressions professionnelles et quotidiennes à vouloir disparaître de soi.
Le pays vide de Catherine Guillebaud, éditions confluences, 142 p., 2014, 12,50 €
Présentation du livre par Catherine Guillebaud pour la librairie Mollat.
Polyphonie de voix du passé
À la mort de la Lise en 1935, Mousseline devient nourrice des jumeaux Pierre et Marielle juste rescapés de l’accouchement. Son mari Vieux Paul, surnommé ainsi pour ses vingt-deux années d’écart d’âge, est charbonnier et survivant de la Première Guerre, il n’a cependant plus la force de les élever. Mousseline s’invente alors trois rôles : mère, épouse et tante. À la majorité des enfants, elle laissera Marielle tenir les comptes de la maison et aider son père avec l’entreprise de livraison de houille, de charbon et de fuel et partira pour Paris où Pierre, devenu soldat, habite avec sa femme Anne.
Leur fils Michel, considéré comme le neveu de Mousseline, porte les trois voix de sa tante, « celle de la femme jeune, celle de la femme mûre et celle de la vieille femme ». Michel n’est autre que le narrateur et double fictif de Lionel-Édouard Martin. Devenu écrivain, il est à la fois « rapporteur » et « imitateur » d’une parole qui n’existe plus, ne peut donner son consentement et ne doit donc pas être trahie. Son imagination n’étant pas très féconde, il doit faire avec quelques clichés de famille en noir et blanc, des discussions, des bribes de souvenirs lui reviennent parfois, par exemple en écoutant le titre My favorite things du saxophoniste John Coltrane qui, 53 ans plus tard, lui remémore son premier rot quand Mousseline le tenait dans ses bras. Il est difficile de retranscrire une polyphonie de voix du passé, « je ne connais pas toute ta tessiture ni toutes tes harmoniques », précise Michel qui ne peut trouver « un accord entre une voix grave et une voix aiguë ». Le titre du roman est d’ailleurs questionné par Mousseline qui y voit un « pléonasme », « personne n’est fait d’un seul bloc ». En charge de l’éducation de Michel pendant la guerre d’Algérie, elle se demande si il est provincial, parisien, son fils, son neveu, sa mère, son Joseph.
Lionel-Édouard Martin construit son récit au moyen d’analepses. Mousseline qui était provinciale après la Seconde Guerre mondiale est propulsée dans le Paris de 1956. Elle y fait la rencontre de Joseph, s’imagine comme Marie et comme sa femme. À sa mort, elle ouvre une agence matrimoniale, devient, à la disparition des parents de Michel, sa mère adoptive jusque dans les années 1970, voyant en lui une réincarnation de Joseph. Elle finit par trouver un nouvel amour en Bretagne dans les années 1990.
Pour ajouter à cette cacophonie de voix, des citations d’écrivains font offices de titres de chapitres. Références à Gérard de Nerval, Pierre Jean Jouve, Honoré de Balzac, Blaise Cendrars dont on peut dire que l’auteur revendique la pensée et l’héritage. « Et tous, nous sommes les doubles de quelqu’un dont s’est perdue la mémoire au fil des âges. »
Mousseline et ses doubles de Lionel-Édouard Martin, Les éditions du sonneur, 294 p., 2014, 17 €
Présentation du livre par Lionel-Édouard Martin pour la librairie Mollat.
Sur d’autres livres de Lionel-Édouard Martin, Anaïs ou les Gravières, Les éditions du sonneur, 2012, L’Actualité Poitou-Charentes n° 97.
Deuil à Chailly, Arléa, 2007, L’Actualité Poitou-Charentes n° 76.
Normale saisonnière
Normale saisonnière croque la morne réalité d’une femme s’occupant de son père ouvrier et alité dans une banlieue-dortoir d’Angleterre. Entre deux passages à l’hôpital, elle retrouve son âme d’enfant, s’évade et rêve de mille visages dans les nuages, récite Apollinaire comme une écolière, voudrait que son lit soit englouti par la terre, organise son potager en petits carrés dispersés sur la pelouse. Dans des textes brefs et très imagés, Sofia Queiros a le don de magnifier les rêveries d’une femme confrontée à un quotidien déprimant et gris.
À la manière d’un journal intime, chaque pensée, chaque émotion, chaque souvenir d’enfance est relaté sans tabou dans des formes brèves, parfois associé à un événement violent. Exemple :
« Bright often sunny. Elle dévale l’escalier rayonnant et s’assied près d’hortensias aux mille bleus. Si légère, un pépiement suffit pour qu’elle s’envole vers mille osselets, dominos et cordes à sauter, mille billes agates, hélices, terres et œils-de-tigre. Un homme vocifère et la voilà chevauchant un arc-en-ciel, découpant la lune en fine dentelle. Sous les coups elle voit mille choses et merveilles. »
Les données météorologiques (traduites à la fin du livre) sont annotées en anglais et servent de trames aux détraquements de ses humeurs, aux changements de personnalités. Les habitants du quartier sont aussi instables et volubiles qu’elle, comme ce voisin sûrement bègue et atteint d’un strabisme qui lui « parle de coq d’âne et d’argent » et lui déclare son amour en lui offrant un cœur bleu.
La narratrice, tantôt sauvage, tantôt rêveuse est comme ce vieil homme joueur de oud, danseur dans les salons, peintre sur verre et sur soie, mort à l’angle de sa rue. Sofia Queiros avait déjà écrit sur les plantes et les objets banals dans un poème inspiré de Cendrillon est schizophrène de l’artiste Karine Bonneval (L’Actualité n° 105).
En 2013, pour l’exposition Rencontres animales de Marie Tijou à la galerie Louise-Michel à Poitiers, elle écrit un poème sur un enfant triant des images Hachette du commandant Cousteau et des vignettes d’animaux dans un album Panini, rêvassant de bêtes à poils sur des dalles en plastique.
Depuis 2015, leur collaboration se poursuit sur le blog de l’écrivaine autour des P’tits papiers, poèmes courts illustrés d’aquarelles et de dessins au Staedtler sur différents papiers (papier millimétré, papier kraft, papier maïs…).
Normale saisonnière de Sofia Queiros, éditions Isabelle Sauvage, 84 p., 2014, 13 €
Sur d’autres livres de Sofia Queiros : De quoi dirais-je vivre, éd. Être et connaître, 2006, L’Actualité Poitou-Charentes n° 74.
Et puis plus rien de rêves, éd. Isabelle Sauvage, 2012, L’Actualité Poitou-Charentes n° 98.
Jardin d’adolescents
Franco-américain, fils du banjoïste Jack Treese et enseignant de lettres à Saintes, Élie Treese connaît bien les adolescents, leur vocabulaire et leurs pulsions libidinales. Après Ni ce qu’ils espèrent, ni ce qu’ils croient (Allia, 2012) où quatre marginaux se retrouvent autour d’un feu sur une zone de chantier avec l’intention de voler du gasoil. Il renchérit dans Les Anges à part, avec l’histoire d’une bande de pré-adolescents laissés-pour-compte impliqués dans des petits trafics de cigarettes et de produits allemands. C’est au sein d’un petit village pluvieux que Franck et sa bande (La Buse et les Jumeaux) organisent des plans de larcins depuis leur planque Maison Neuve, baraque délabrée au fond des bois. Tout part du recrutement de Carabi, « une sorte de gourou à la Raël » avec ses habits blancs. Franck, celui qui crache le plus, l’envoie compter des caisses de marchandises allemandes qui transitent par le château gardé par Gros-Cul, réparateur de brouettes pendant la Guerre. Celui-ci finira par découvrir leurs manigances et les poursuivra avec pétrolette et carabine. La bande implosera avec le « coup d’État » de Carabi qui convoitait la place de Franck.
« Et je dis pas que je n’ai rien eu du tout, non, ce serait pas vrai, mais c’est comme si le Seigneur m’avait refilé genre un diamant et un pot de chambre, sans rien d’autre, sans foutues explications, avec juste la mention démerde-toi pour que je sois bien sûr qu’il est en train de se foutre de ma gueule. » Au-delà de son langage campagnard cru et argotique, Les Anges à part se base sur une trame romantique puisée dans le Roman de la Rose, œuvre poétique du XIIIe siècle écrite par Guillaume de Lorris et Jean de Meung. Au cœur d’un verger luxuriant, un rêveur trouve un buisson de roses dans la fontaine de Narcisse, un magnifique bouton l’attire particulièrement, il veut le cueillir mais son désir fait face à des obstacles de plus en plus difficiles à surmonter. Élie Treese transpose dans son roman la structure narrative de ce texte allégorique en reprenant les thèmes de la transgression, du printemps, de la naissance du sentiment amoureux… C’est sous les traits d’Oiseuse, villageoise blonde, naïve et sibylline que l’amour interdit est symbolisé. À la manière d’une apparition fantomatique elle hante les pensées de Franck et tente de l’égarer dans le cimetière. Les adolescents modernes ne sont plus les jeunes trouvères moyenâgeux qui déclamaient des vers courtois et luxueux, ils s’approprient la puissance évocatrice de certains poèmes. Comme Édit funéraire du poète Victor Segalen que Carabi récite dans la planque : « Ma demeure est forte. J’y pénètre. M’y voici. Et refermez la porte, et maçonnez l’espace devant elle. Murez le chemin aux vivants. Je suis sans désir de retour, sans regrets, sans hâte et sans haleine. Je n’étouffe pas. Je ne gémis point. Je règne avec douceur et mon palais noir est plaisant. »
Les Anges à part d’Élie Treese, Payot/Rivages, 136 p., 2014, 13,50 €
Présentation du livre par Élie Treese pour la librairie Mollat.
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