Augustin Braud – Comme une lave en fusion
Par Héloïse Morel
Augustin Braud, jeune compositeur de 23 ans, a créé et présenté une pièce jouée par l’Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine. Jean-Luc Terradillos a fait le portrait de ce jeune musicologue-compositeur dans le n° 119 de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine. Le 16 janvier au matin, avec la photographe Eva Avril, nous avons assisté à une partie de la répétition de la pièce Ibur Neshamot qui a donné lieu à trois représentations, du 18 au 21 janvier à Poitiers, Aiffres et Rochefort. Comme Ibur Neshamot évoque la Kabbale et la possession d’une ou plusieurs âmes dans un corps, la composition a investi les cordes, les vents, les cuivres et percussions de cinquante musiciens. « C’est un enchevêtrement, explique Augustin Braud dans l’entretien. Les cinquante instruments de l’orchestre jouent chacun une partie séparée. On est dans une masse mouvante très dense, avec des sons aléatoires qui résultent par exemple de la pression de l’archet ou de gestes des musiciens dont la résultante sonore n’est pas notée de manière extrêmement précise. J’essaie de faire briller l’individualité de chaque musicien et de cette individualité exacerbée faire ressortir le potentiel de la masse. Il ne faut pas avoir peur de sonorités saturées… » (n° 119, p. 65).
Nous avons échangé avec trois des musiciens dont les instruments sont mis en valeur dans la partition (trombone, cor et tuba) et le chef d’orchestre au sujet de cette œuvre.
Comment les musiciens ont réagi en recevant la partition ?
Franck Théaudin est second trombone à l’Orchestre de chambre de la Nouvelle-Aquitaine depuis environ quinze ans, il témoigne de sa réaction : « Le premier contact avec l’œuvre peut faire un peu peur parce que ce sont des écritures moins usuelles que la musique classique, il faut trouver tous les codes et passer un peu de temps pour envisager la façon dont l’œuvre va se dérouler. Il y a des signes bien spécifiques à la musique contemporaine avec des effets qui sont utilisés seulement dans ce répertoire. En ce qui me concerne, le premier contact que j’ai eu avec la partition, c’était quelques sueurs froides, un sentiment d’angoisse dans la réalisation mais qui se sont effacés en déchiffrant l’œuvre avec le chef d’orchestre et le compositeur. »
Stéphane Balzeau, tubiste à l’orchestre, complète : « Il a fallu découvrir cette œuvre avec un lexique parce qu’il y a certains termes contemporains dont on a moins l’habitude, même si l’on en connaît quelques uns comme flatterzunge, qui est un effet de vibration obtenu avec la langue, ajoutant une sonorité. Il a fallu s’approprier tous ces termes chantés dans l’instrument. La nouveauté, c’était d’avoir un autre instrument à côté de moi, un tam-tam sur lequel je devais taper pour prendre une autre sonorité. »
Pour Jérôme Rocancourt, troisième cor, l’expérience n’a pas été sans péril. « Pour les cors, c’était une expérience intéressante, nous avons joué sur des harmoniques naturelles, des hauts quarts de ton (la moitié d’un demi-ton), sur la tessiture avec des cellules rythmiques intéressantes. L’originalité, c’était d’utiliser l’archet d’une contrebasse sur le pavillon (l’extrémité du cor), cela crée une vibration et des sons étranges. Mon cor a un pavillon démontable, ce qui est moins pratique pour l’emploi de l’archet. Je l’utilise donc sur le pupitre, cela donne un son équivalent à une cymbale suspendue. Lors d’une répétition, j’ai fait tomber le pupitre sur une flûte qui a été endommagée… ! »
Pour le chef d’orchestre, Nicolas Chalvin, directeur musical de l’Orchestre des pays de Savoie et invité pour la semaine à l’Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine, « c’est une pièce très complexe, très dense dans la mesure où chaque partie instrumentale est individualisée, ce qui n’est pas souvent le cas. Il y a autant de parties qu’il y a d’instrumentistes, ce qui fait une grande partition, il doit y avoir une cinquantaine de voix. Il a fallu travailler sur la densité de la partition qui a une masse et une richesse que nous avons rendu transparente. Ce sont des épisodes qui se succèdent, il faut faire émerger les voix prépondérantes, dessiner les décors qui sont derrière et réunir cette masse qui est comme une lave en fusion. Il faut également réaliser un travail de précision parce que cette musique qui est a priori complexe à l’oreille, on doit pouvoir en avoir toutes les informations, toute la technicité et la précision pour qu’on ait le maximum d’éléments. »
Comment travaille-t-on avec le compositeur ?
Pour Stéphane Balzeau, le fait qu’Augustin Braud soit jeune est un avantage. « Ça surprend car, évidemment, la plupart des œuvres que l’on joue sont de compositeurs décédés, sa jeunesse apporte une fraîcheur et cela permet au public d’être en contact avec le compositeur de l’œuvre qu’ils viennent de découvrir. Ces œuvres contemporaines sont nécessaires pour découvrir autre chose et voir la musique évoluer. »
Franck Théaudin souligne l’avantage de pouvoir échanger avec lui directement. « Quand on est sur le terrain avec l’orchestre, on évolue dans la partition mesure par mesure, ça s’éclaircit avec les conseils du compositeur et l’effet réellement souhaité. On va au-delà du langage écrit, ce qui peut être exprimé directement avec le compositeur donne vraiment la subtilité de la réalisation. Plus on commence tôt, plus on peut se forger une expérience, c’est une réelle chance de pouvoir éprouver ses œuvres avec un orchestre tel que le nôtre. »
Les cors sont importants dans l’œuvre, ce que souligne Jérôme Rocancourt dans le travail réalisé avec Augustin Braud : « On a travaillé cellule par cellule, petit à petit, les parties un peu difficiles rythmiquement ça s’est bien passé, c’est construit et enchevêtré. C’est un travail qui m’a plu car l’écriture est plus riche, fournie. Je la trouve particulièrement intéressante. »
Pour Nicolas Chalvin, le contact avec les compositeurs nourrit l’expérience que l’on éprouve avec d’autres œuvres. « C’est indispensable d’avoir ce lien avec la création contemporaine car on a directement l’esprit du compositeur qui est avec nous. C’est vrai que la musique classique joue aussi le répertoire du passé, c’est presque du patrimoine. On hérite de partitions qui sont écrites très simplement et ce qu’on doit trouver c’est ce qu’il y a derrière les notes, éclairage que l’on a en dialoguant avec le compositeur. On imagine l’univers du compositeur au travers de sa partition et après la discussion, on va vers d’autres univers qui nous sont quelques fois étrangers, auxquels on était parfois hermétique. C’est toutes ces différences-là qui sont enrichissantes. Le créateur, c’est celui qui a un esprit très particulier, en tant que musicien on n’est d’une certaine façon un recréateur. »
L’écriture organique
Pour le compositeur, il faut intégrer des pièces de musique contemporaine au répertoire classique. « Je pense qu’il faut le faire de façon transdisciplinaire car ça permet de fédérer le public, souligne Augustin Braud. C’est important de le penser ainsi, car proposer juste un concert de musique contemporaine cela risque de ne pas intéresser grand monde à Poitiers. De plus, cette musique souffre de stéréotypes et le fait de l’intégrer à d’autres pièces permet d’en modifier l’image.
Je suis très content car plusieurs personnes sont venues me voir après les différentes représentations pour discuter et me faire part de leur ressenti. C’est encore mieux que lorsque c’est un professionnel, un musicien du milieu, car cela relève d’une curiosité et d’une surprise chez des personnes qui ne sont pas habituées à cette musique. Il y a une vraie cohérence qui se crée à travers les trois pièces [Concerto pour piano n° 5 de Camille Saint-Saëns, Symphonie en ut majeur d’Igor Stravinsky et Ibur Neshamot d’Augustin Braud] et c’est une expérience positive sur tous les points.
Ma pièce est une écriture assez organique, la magie de l’orchestre c’est que tout fonctionne bien ensemble, notamment avec les trombones où il y a un jeu de questions-réponses et lorsque tout est réglé avec le chef, cela prend du sens. Le principe c’était d’individualiser à l’extrême l’orchestre pour faire ressortir des sonorités vraiment monumentales qui ont plus d’impact. Ça me faisait peur, il y a des nuits où j’avais du mal à m’endormir en me disant que ça ne marcherait pas. Dès la première répétition à laquelle j’ai assisté, ça marchait car les musiciens se sont beaucoup investi et ont énormément travaillé ! »
Le résultat de ce travail, ce sont les retours qu’Augustin Braud a pu avoir, comme cette dame qui lui livre, suite à la représentation au TAP de Poitiers : « Je n’écoute pas trop de musique contemporaine mais j’ai beaucoup aimé ce que vous avez fait ! »
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