Général Berton, conspirateur d’opérette
Par Julie Duhaut
Que fait la Statue de la Liberté à Poitiers ? Inaugurée par les Francs-maçons en 1903, elle fait référence aux derniers mots prononcés par le général Berton, «Vive la Liberté ; vive la France !» Il a été guillotiné le 5 octobre 1822 pour avoir comploté contre Louis XVIII. Deux-cents ans après, Jean-Marie Augustin, professeur émérite à la faculté de droit de l’Université de Poitiers, revient sur la conspiration et le procès dans son ouvrage La Conspiration du général Berton (1822) ; Thouars – Saumur – Poitiers (APC, 2022). Le général n’est pourtant pas poitevin, il ne connaît la ville que par son procès. La conspiration n’a même pas lieu à Poitiers mais à Thouars et à Saumur.
L’Actualité. – Pourquoi choisir le général Berton et pourquoi Thouars et Saumur ?
Jean-Marie Augustin. – La monarchie restaurée en 1815 n’est pas absolue, elle repose sur une constitution appelée la Charte (1814), dont le préambule garantit les libertés et les droits des Français. Le ministère Decazes est plutôt libéral – par opposition aux ultras, des conservateurs – mais, en 1820, l’assassinat du duc de Berry, neveu du roi, marque l’arrêt de ses mesures. Il y a un retour des ultras au pouvoir avec le ministère de Villèle, c’est-à-dire un poids important de la noblesse et de l’Église. En 1821, pour museler la presse d’opposition et la gauche libérale, Villèle dépose un projet à la Chambre des députés pour créer un délit de tendance, qui n’est ni plus ni moins qu’un délit d’opinion. Pour pallier cette censure, des sociétés secrètes se créent, comme les Chevaliers de la Liberté ou la Charbonnerie, dirigée notamment par le marquis de Lafayette. Ces sociétés élaborent des conspirations pour rétablir un gouvernement plus libéral, dont une à Saumur, en décembre 1821, mais qui échoue. La ville est choisie car des Chevaliers de la Liberté sont présents en assez grand nombre, y compris parmi les militaires de l’École de cavalerie. L’année suivante, Lafayette veut relancer un complot et il se rappelle avoir entendu la pétition d’un ancien général d’Empire à propos de sa pension. C’est là que le général Berton entre en scène, assez hostile à l’égard des Bourbons. Bonapartiste à l’origine, la mort de Napoléon en 1821 en fait probablement un monarchiste de raison, du moment que la Charte est bien appliquée. Quand Lafayette entre en contact avec lui, il accepte de prendre la tête de la conspiration et se rend à Saumur. Cependant, malgré la présence de la Charbonnerie et des Chevaliers, ce n’est peut-être pas l’endroit idéal. Au sud, la ville de Thouars semble plus intéressante, notamment pour ses idées assez avancées et car elle a su se défendre deux fois contre les Vendéens.
Comment expliquer l’échec de la conspiration ?
Tout a été préparé dans l’improvisation, c’est une conspiration d’opérette ! Le général ne connaît pas la région, il n’est arrivé que quinze jours avant, les Chevaliers n’ont rien préparé car ce ne sont pas des militaires. Il y a une sorte d’idéalisme un peu béat comme toujours dans ces cas-là, on fantasme : on croit à des renforts venus de toute la France mais ils ne sont que cent-trente conjurés. C’est une armée de patachons équipée d’escopettes, de fusils qui ne fonctionnent pas tous et de bâtons. La route allant de Thouars à Saumur fait 34 kilomètres et pourtant, le 24 février 1822, Berton prend tranquillement le temps de déjeuner. C’est pareil sur le parcours, on s’arrête à toutes les auberges et le général paie, grâce au prêt qu’il a obtenu du banquier Laffitte. Arrivé à Saumur, Berton est un héros romantique qui veut prendre la ville sans verser le sang. C’est d’époque mais voué à l’échec ! De l’autre côté du pont Fouchard, tout le monde est prévenu : l’École de cavalerie est en armes contre les insurgés et, alors qu’on pensait la soulever, elle est renforcée par des gendarmes et des gardes nationaux. Un armistice est signé entre le maire et Berton, personne n’attaque avant l’aube : pour les militaires, une charge de cavalerie dans les vignes est impossible et pour les conspirateurs, ils ne sont pas assez nombreux. Le général s’en rend d’ailleurs compte car il ordonne la retraite pendant la nuit. C’est la débandade, certains conjurés sont pris, Berton essaie de se réfugier au château du Bois de Sanzay mais le propriétaire refuse alors il rejoint La Rochelle. Il prend d’ailleurs contact avec les quatre sergents, auteurs d’une conspiration à l’été 1822.
Comment Berton est-il arrêté puis jugé ?
Lafayette ne veut pas rester sur cet échec et contacte à nouveau les Chevaliers de la Liberté à Saumur. Même si l’Ecole de cavalerie, compromise dans l’affaire, a été remplacée par le prestigieux régiment des carabiniers de Monsieur – le comte d’Artois, frère du roi – il reste quelques charbonniers, dont le maréchal des logis Wœlfel. C’est lui qui reprend contact avec Berton, qui accepte de revenir à Saumur. Il a une «conspirationnite aiguë». Cependant, lors d’une réunion dans le hameau de L’Alleu, Wœlfel arrive en retard, disant avoir pris des précautions supplémentaires. Le prétexte pour se retrouver était une partie de chasse, ils sont donc tous armés. À la surprise générale, il prend son fusil et met Berton en joue, avant de l’emmener à Saumur.
L’affaire ne dépend pas de Poitiers mais le procureur général Mangin, ambitieux, voit l’occasion d’en faire un tremplin pour sa carrière et obtient la délocalisation de l’enquête à la cour d’assises poitevine. Au procès, seuls trente-quatre conjurés sont présents, les autres sont jugés par contumace. Berton demande plusieurs fois à changer d’avocat mais cela lui est refusé et son commis d’office, Sylvain Drault (qui donne son nom à la rue donnant sur la place de la Liberté) ne veut plus le défendre. Le général se défend donc tout seul, endossant l’entière responsabilité du complot et rappelant qu’il ne souhaitait pas renverser le roi, seulement le gouvernement. Toutefois, Mangin est particulièrement hostile, quitte à être sans scrupules : le manque de preuves matérielles n’est pas important car «où trouver plus de preuves morales ?» dit-il dans son réquisitoire. Les principaux conjurés, dont Berton, sont condamnés à mort. Selon la procédure, ils forment un pourvoi en cassation, faisant jouer l’acharnement manifeste du procureur et le manque de défense comme vice de forme. La cour de cassation confirme cependant l’arrêt. La grâce royale n’est accordée qu’à deux condamnés mais pas aux meneurs, comme Berton ou le docteur Caffé. Ce dernier se suicide avant l’exécution et seul Berton est guillotiné sur la place du Pilori, maintenant place de la Liberté.
Au-delà du bicentenaire, pourquoi avoir choisi cette affaire ?
C’est la dimension européenne qui m’a intéressé, en dehors de ce procès historique. Avec la Sainte-Alliance, les monarchies européennes se sont unies après le Congrès de Vienne, en 1815, pour maintenir l’absolutisme et éviter le retour des idées révolutionnaires. En France, le risque de l’absolutisme est bien là, avec le ministère Villèle. La conspiration de Berton est le parallèle d’un autre coup d’Etat en Espagne pour rétablir la Constitution de Cadix. Élaborée en 1812 au moment de la guerre contre Napoléon, elle est abrogée lors du retour de Ferdinand VII sur son trône en 1814. La conjuration des généraux Quiroga et del Riego force la monarchie à remettre en place cette constitution en 1820, sans renverser le régime. La réussite est cependant de courte durée car, dans le cadre de cette Sainte-Alliance, la monarchie absolue espagnole est rétablie en 1823, notamment avec l’aide de l’armée française, conduite par le duc d’Angoulême. Mais, si l’absolutisme a une dimension européenne, la volonté libérale également : des conjurés de Thouars aident les rebelles en Andalousie, comme le commandant de la garde nationale Pombas. De même lors de la révolte des Grecs contre l’empire ottoman en 1823, bien que ce soit un peu en dehors de l’Europe à l’époque. En référence à l’expression très imagée que Walter Bruyère-Ostells emprunte aux géographes, Thouars et Saumur sont, à l’échelle de l’Europe, des îlots de l’archipel libéral dans un océan conservateur.
Jean-Marie Augustin, La Conspiration du général Berton (1822) ; Thouars – Saumur – Poitiers, APC, 2022, 136 p., 20 €
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