Hélène Vignal – Libérée, Queen Kong
Par Julie Duhaut
Queen Kong n’est pas l’histoire d’un monstre géant mais celle d’une ado qui s’éveille à la sexualité et doit affronter le regard des autres lycéens. Ce livre a valu à Hélène Vignal, qui vit à Poitiers, le prix de la Pépite d’or 2021 du salon de littérature jeunesse de Montreuil.
L’Actualité. – Comment avez-vous reçu le prix de la Pépite d’or ?
Hélène Vignal. – C’est un prix qui représente une véritable reconnaissance dans le monde de la littérature jeunesse. Je publie des livres depuis 2005 aussi j’ai déjà reçu d’autres prix mais ils n’étaient pas aussi prestigieux que celui-ci. J’étais étonnée que Queen Kong figure dans la sélection du salon, c’était déjà une la fête, mais ma surprise était encore plus grande quand le prix a été attribué à mon livre. Je ne m’attendais pas à une grande audience, si j’écris c’est avant tout pour moi, sur des sujets qui m’intéressent. Parler de sexualité de manière aussi crue n’est généralement pas bien vu, aussi bien dans le monde de la promotion littéraire que par le public. J’ai par exemple rencontré des lectrices, pas seulement des jeunes filles, qui ont été gênées par les scènes de masturbation. La littérature jeunesse est un lieu de haute tolérance mais elle est considérée à tort comme une sous-littérature. Malgré les ventes importantes, la cour des grands ˗ c’est-à-dire la littérature adulte ˗ nous regarde un peu de haut. Pour toutes ces raisons, recevoir ce prix pour Queen Kong a été une grande surprise.
Pourquoi avoir choisi la littérature jeunesse ?
J’ai toujours un peu de mal à expliquer pourquoi je me sens bien dans cette littérature. J’ai déjà voulu écrire en littérature générale mais j’étais moins à l’aise, alors que l’écriture n’est pas vraiment différente. Le choix des catégories relève plus des éditeurs que des auteurs. Pour Queen Kong, j’ai bien rencontré des lecteurs de tout âge, entre 15 et 90 ans. C’est davantage une question de ressenti avec le public. Je suis à l’aise avec les adolescents car c’est un lectorat spontané, qui dit franchement quand il aime ou non. Pour eux seul compte le plaisir de lire, ils ne font pas de manières. Ecrire pour les ados, c’est être simple et dans l’émotion, c’est être direct. Je préfère les textes accessibles et sincères aux auteurs qui étalent leur vocabulaire et leur science. Je pense qu’il est important de s’adresser aux jeunes, nous avons une certaine responsabilité de la vision du monde que l’on peut donner à travers les textes. Sans pour autant faire de didactique, cela permet de les amener à réfléchir sur les notions de libre arbitre, d’identité et de respect. Même pour les petits car un texte est toujours politique selon moi.
Comment écrire à la place d’une adolescente ?
Je n’ai pas encore totalement fermé la porte entre l’âge adulte et l’adolescence. D’une certaine façon, je suis assez proche d’eux. Etant hypersensible, c’est un état où l’on perçoit beaucoup d’informations, notamment au niveau émotionnel. Les interventions que je peux faire en collège ou en lycée me permettent aussi d’avoir leur vision des choses. Ce que je raconte n’est d’ailleurs pas cantonné à l’adolescence. Dans Queen Kong, c’est la recherche du plaisir, la liberté de faire des expériences. C’est également affronter le regard du groupe quand on décide d’être libre. Les adultes aussi font ces choix. Il n’y a pas un moment où il faut découvrir son corps absolument et un autre où c’est interdit, c’est un rapport qui se réinvente en permanence. Même si ce n’est pas un récit autobiographique, l’histoire est entièrement fictive, cela n’empêche pas une forme d’identification, d’autant plus quand j’écris à la première personne. Je m’inspire de mes propres souvenirs et les valeurs de mon personnage sont aussi les miennes.
Y a‑t-il des auteurs et autrices qui vous ont inspirée ?
Je suis assez réticente aux histoires de modèle, c’est une notion assez envahissante et je ne cherche pas à en être un pour les autres. Il y a bien sûr des sources d’inspiration et, pour ma part, ce ne sont pas que des écrivains mais aussi des photographes, des plasticiens, des danseurs, des chanteurs à texte, etc. Le travail des autres artistes m’est indispensable, il y en a partout chez moi. Concernant les auteurs, quelques-uns m’ont ouvert les yeux sur tout ce que l’on peut faire en littérature. Il y a d’abord Zola, notamment Nana ou L’Assommoir, où j’ai compris que la littérature pouvait servir à la dénonciation sociétale. Quelque part, c’était presque un sociologue avec ses enquêtes de terrain. Dans la même logique, j’aime beaucoup Victor Hugo. Il y a aussi Marguerite Duras qui, même si je n’arrive plus à la lire aujourd’hui, m’a beaucoup appris. Avec ses phrases très courtes et ciselées, j’ai vu que le poids du silence compte autant que celui des mots. Elle écrivait presque des slams avant l’heure. Pour la dimension féministe, qui me tient à coeur également, j’ai beaucoup lu Annie Ernaux. Je pourrais en citer des centaines d’autres.
Queen Kong de Hélène Vignal, éditions Thierry Magnier, collection «L’Ardeur», 2021, 96 p., 12,90 €, prix Pépite d’or 2021 au salon du livre jeunesse de Montreuil
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