ImBRIQU’ation d’histoires
Par Jean-Jacques Teixeira
L’usage voudrait que je nomme ce texte bribes de mon histoire, mais j’ai envie d’écrire des briques de moi, comme Lego de soi. C’est sans doute lié à l’âge auquel les souvenirs s’emboitent, comme ce jeu d’emboitements, d’imbrications ; ce qui ressemble plus à ma vie. Je trouve le mot bribe trop doux avec ses deux B. Brique, casse cette douceur, break en anglais, « partir » en portugais ; « partir-se » se casser quelque-chose.
Première imbrication, portugais né en France, deux pièces du jeu, du je qui écrit. Deux langues, deux cultures, deux briques parentales cimentées par les épreuves, une première histoire dans l’histoire plus grande d’un petit pays. Il n’avait pas fait de mur, mais son peuple en a fait partout dans le monde. Brique, toutefois banal, un père maçon
Assimilation, intégration, imbrication…
Peu importe tant que les ZUP se construisent, les hôpitaux, les routes, les rocades… Regarde papa il travaille là, c’est haut, c’est gros… Héros du bâtiment, des bâtisseurs. Ce sont des tours de Babel, portugais, marocains, turcs, algériens, italiens… mais pas de punition divine, pas de dispersion ; les édifices, tiennent ; les ZUP sont habitées par ceux qui les construisent.
Une tour c’est rond, dans ma caisse, je n’ai que des pièces rectangulaires, elles s’emboîtent se chevauchent, comme les parpaings sinon, ça ne tient pas m’a dit mon père ; il faut que cela soit solide. Chevauchement des langues : «Bonjour Madame, je voudrais un kilo de sucre en pierres, et non en français on dit en morceaux.»
Le problème des briques, c’est que l’on fait des coins, les coins se sont des nids à poussière… Tout le monde le sait, ma maman est femme de ménage. Jusqu’ici tout va banal, le stéréotype parfait, la brique idéale. L’histoire d’une histoire sans histoire.
Tout est vrai, tout est par défaut, pas de contrôle qualité comme chez Lego, c’est le bazar dans la boîte à briques. C’est quoi ce prénom français ? Dis papa, c’est comment une maison, tu sais comme celles que tu construis ? Ah non ! Ces questions-là ne se posent pas ? Pourquoi j’ai le nom de famille de maman ?
Des briques différentes, c’est un peu aussi l’enfance en primaire, les briques portugaises avec celles du Maghreb qui s’assemblent pour faire une équipe de foot dans la cour. Match France/les autres. Match nul toutes les briques différentes internationales, font les mêmes bêtises en classe. Jusqu’au collège le tas de briques différentes se tient à peu près, mais des briques de mots, frappent plus forts : portos, bougnouls, manouches… Dés-imbrication. C’est comme les vrais Lego et les faux. Les égos sont là plus sensibles, plus touchés par les mots-briques qui brisent l’être différent.
Le lycée, première brique à partir de laquelle on se retourne sur ses fondations, mes briques frères sont partis en poser, en apprentissage. Le mur qui se dessine est plus uniforme ; comme si de la maçonnerie je passais à l’archéologie. De l’imbrication aux strates, superposition, la société est faite de couches qui se superposent, pas de tectonique qui fait remonter l’argile des briques du dessous… avec les Lego c’est pareil si on ne renverse pas l’édifice, celle du dessous…
Finalement l’égo de moi, pléonasme, n’est pas une « im »-« briquation », c’est un mélange, les briques ont trop d’arêtes, d’angles, elles s’imbriquent pour figer, uniformiser, masquer les problèmes qu’elles posent : un mur, des murs… je mure… silence…
Le problème des briques c’est aussi le poids, des humains continuent de rêver de pouvoir venir poser des briques d’avenir, ailleurs… Certains ont traversé les Pyrénées, d’autres la Méditerranée, des rivières et y ont coulées ; avec leurs briques de savoir, d’être, d’humanité, d’altérité… lestés du poids d’une brique d’espoir.
Assimiler, intégrer, imbriquer… noyer.
Cet article a été rédigé dans le cadre d’une intervention en écriture journalistique auprès des Master 1 Livre et médiations, UFR Lettres et langues de l’université de Poitiers.
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