Tiphaine Maurin, paléontologue de la Shungura

Portrait paysage sédiments Tiphaine Maurin devant les sédiments de la Formation de Shungura, juillet 2014.

Par Lison Gevers

Tiphaine Maurin a soutenu sa thèse à l’université de Bordeaux sur les interrelations hominidés/environnements au début du Pléistocène dans la corne de l’Afrique en décembre 2017. Une docteure en préhistoire qui a un parcours assez atypique. Elle a été invitée au séminaire international de Paléontologie par le laboratoire PALEVOPRIM de l’université de Poitiers.

L’Actualité.— Comment avez-vous choisi la paléontologie ?

Tiphaine Maurin.— J’ai commencé par un master 1 d’archéologie à l’université d’Aix-Marseille, en travaillant en taphonomie. C’est la science du tombeau. Cela consiste à étudier les altérations post-dépositionnelles des vestiges, en d’autres mots, toutes les actions qui peuvent les altérer une fois qu’ils ont été abandonnés après la création d’un site archéologique. Nous étudions ce qui va venir bouleverser ces vestiges : souris qui va déplacer les os, rivière qui va transporter les outils, etc. J’ai travaillé sur un sujet complètement différent que celui qui m’occupe aujourd’hui, l’étude des surfaces des céramiques. Ce qui m’a toujours intéressé dans l’archéologie, c’est le processus de transformation. Comment passe-t-on de quelque chose qui existe à un site archéologique ?

Par la suite, et là est l’origine de mon déclic, j’ai fait un volontariat international au Musée national d’Éthiopie en 2010. Mon travail consistait en la conservation des collections de paléontologie et de préhistoire. C’est là que Jean-Renaud Boisserie m’a fait découvrir la paléontologie. À la fin de mon volontariat, je suis tombée amoureuse du terrain. J’ai compris que j’avais envie de travailler là. J’ai, par la suite, réfléchi à une poursuite de master avec l’appui de Jean-Renaud Boisserie et Anne Delagnes, directrice du laboratoire de préhistoire de Bordeaux (PACEA), qui étaient mes deux codirecteurs. Pour me former aux outils, j’ai fait un master pro à l’université de Tours en archéomatique, puis un master recherche en préhistoire pour avoir les connaissances scientifiques nécessaires pour l’élaboration de ma thèse.
Ma carrière a connu un tournant ces dernières années. Désormais, je suis attachée parlementaire. Je n’ai pas fait de sciences politiques mais j’ai toujours eu un intérêt pour l’engagement syndical. Lorsqu’il y a eu la loi travail, j’ai décidé de participer à ce que cela ne se reproduise pas. J’avais l’impression qu’à cet instant de ma vie, j’étais plus utile en participant à la vie publique qu’en continuant la recherche. Mais je reste tout de même chercheure en préhistoire et avoir la possibilité de travailler un sujet de façon aussi aboutie et de pouvoir se considérer comme la spécialiste, c’est formidable.

sédiments

Occupation archéologique d’Omo 1e datée de 2,3 millions d’années.

De quels aspects traite votre thèse ?

Quelles sont les conditions de l’émergence de ce qui fait de nous des humains (outils, symbolisme, bipédie, langage) ? Ce sont toutes ces différentes caractéristiques qui font de nous ce que nous sommes. À chaque fois qu’il y a l’émergence d’une nouvelle pratique qui est un marqueur de notre humanité, nous essayons de comprendre ses conditions. J’ai donc travaillé sur la taille de la pierre il a 300 000 ans, dans la corne de l’Afrique, sur le site de la formation de la Shungura, en Éthiopie. Ce site est particulier car il regroupait toutes les conditions nécessaires pour pouvoir répondre à cette question. C’est-à-dire : un enregistrement continu de la faune qui est un indicateur de l’environnement, une présence des outils oldowayens bien cantonnés à une période de temps et, enfin, une répartition spatiale gigantesque.

Avec une question, nous avions deux axes de réponses : essayer de comprendre l’émergence, puis, la répartition de ces tailleurs de pierre. Pour cela, j’ai d’abord observé si les sites archéologiques étaient en place ou s’ils avaient été complètement remaniés par des rivières. Si oui, ils ne peuvent pas être un marqueur d’un habitat. Dans un deuxième temps, le but était de voir quel était l’environnement avant que les hominidés se mettent à tailler, et une fois qu’ils se mettaient à tailler, quels étaient les signaux environnementaux.

Sédiments paysage

Sédiments de la Formation de Shungura datés entre 3,6 et 1 millions d’années, riches en fossiles et en matériel archéologique.

Ma thèse a permis de répondre à ces questions. Les sites archéologiques de la formation de Shungura sont remaniés mais un certain nombre sont encore suffisamment en place pour donner de nombreuses informations sur le lieu de vie des hominidés. Nous observons aussi une évolution du climat, avec une aridification et une persistance de zones plus humides où les hominidés se sont installés. Sur les bords de rivière il y a de l’eau, de l’ombre et des animaux qui viennent se désaltérer. Cette proximité des hominidés avec les plans d’eau se constate sur de nombreux sites.

Tiphaine Maurin travaille à Villenave‑D’ornon, à côté de Bordeaux. Même si sa carrière a connu un tournant, elle reste avant tout une chercheuse engagée.

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