Bernadette Paringaux & Jean‑Paul Blot – Les éditions fédérop
Entretien Laurine Rousselet
En 1975, l’occitaniste Bernard Lesfargues, poète, célèbre traducteur, qui a contribué à révéler des écrivains majeurs espagnols et catalans, fonde les éditions fédérop. Vingt-quatre ans plus tard, Bernadette Paringaux et Jean‑Paul Blot lui succèdent, et s’installent à Gardonne dans le Périgord pourpre. Ils s’engagent à ancrer l’esprit de la maison d’édition dans le catalogue avec des textes littéraires ; poésie, prose, roman, notamment pour la collection «Paul Froment». Curieux, insatiables, érudits, inventifs, ils créent les collections «Littérature de voyage» en 2000 et «Troubadours» en 2011. Focus sur l’une des plus belles petites maisons d’édition de littérature et de poésie engagée, expérimentée de l’Hexagone.
L’Actualité. – Comment avez-vous nourri votre fidélité à l’esprit du fondateur et ami Bernard Lesfargues ?
Bernadette Paringaux. – Lassée par le métier d’enseignante (professeur d’espagnol) que j’exerçais depuis plus de vingt ans, j’ai démissionné de l’Éducation nationale avant d’entrer en contact avec Bernard Lesfargues qui m’a demandé de traduire le recueil de poèmes d’Almudena Guzmán, Vous, et un roman espagnol, Les Abîmes de la nuit, de Jesús Carrazo pour publication. Alors, l’idée de me lancer dans l’édition a surgi. Bernard Lesfargues souhaitait arrêter ses activités d’éditeur. Il a bien voulu que mon mari Jean‑Paul Blot et moi-même reprenions sa maison. Pour poursuivre, il nous a mis en contact avec des poètes catalans et amis tels Àlex Susanna et Jep Gouzy que nous avons rapidement publiés. Ont suivi cinq autres recueils de poètes catalans publiés avec le soutien de l’Institut Ramon Llull ainsi que quatre romans et récits. Nous avons donc continué sur la voie tracée par Bernard Lesfargues qui voyait avec satisfaction que la littérature catalane, qu’il avait introduite avec ténacité en France, était dorénavant bien représentée dans le catalogue de fédérop.
Jean-Paul Blot, vous avez été professeur d’anglais. Vous avez traduit, entre autres, Mondes Parallèles de Christine De Luca, Peninsula de Desmond Egan. Vous avez signé La Croix d’Aix et Pigeonniers du silence, deux ouvrages mêlant poèmes et photographies. Votre besoin d’écrire, comme marque de continuité, s’impose-t-il à l’égal de la traduction ?
Jean-Paul Blot. – En fait, j’ai d’abord commencé par écrire des poèmes en occitan dans les années 1970, puis en français. Si j’ai traduit, ce fut par un concours de circonstances. Un ami poète irlandais, Desmond Egan, m’a demandé de traduire Peninsula, publié par Bernard Lesfargues. Des années plus tard, en 2005, il s’agissait de Music. Ont suivi Mondes parallèles, Chez les Tibetains d’Isabella Bird, Les Travaux et les jours d’Emerson. Enfin, les lettres de Robert Jamieson et Barbara Laing des îles Shetland sous le titre Une si longue attente. J’éprouve autant de plaisir à traduire qu’à écrire. De plus, en traduisant, je tente de faire connaître des textes qui n’ont pas encore été publiés en français.
Longue la liste des auteurs contemporains étrangers publiés pour la première fois en français grâce à fédérop. Mentionnons seulement le catalan Francesc Serés, le finlandais Jyrki Kiiskinen, le chinois Xi Du. Paul Morand a dit : «Vivre, c’est susciter des hasards». Dans quelle mesure offrir son désir de découverte est-il un acte altruiste ?
Pour une petite maison d’édition telle que la nôtre, la décision de publier un auteur vient effectivement du hasard. On rencontre des auteurs, des traducteurs qui nous sollicitent et nous proposent de publier leur(s) texte(s). Si nous aimons leurs écrits, nous décidons de les publier à condition d’en avoir les moyens financiers. En général, nous avons effectivement choisi de publier des auteurs jamais traduits en français. C’est une chance offerte à l’auteur. Mais nous n’avons pas toujours réussi pour des raisons précises tels le manque de médiatisation, le manque de diffusion efficace. On peut bien, en effet, parler d’altruisme.
Dès son origine, fédérop consacre les auteurs occitans. Je pense aux auteurs phares tels que Robert Lafont, Max Rouquette, Bernard Manciet. Quels ont été vos plus grandes révélations concernant la littérature occitane ?
Ces auteurs phares, Bernard Lesfargues les avait publiés en son temps. Max Rouquette a fait appel à nous pour rééditer Medelha, ouvrage épuisé. Puis, il nous a sollicités pour publier Bestiaire II, paru quelques semaines avant sa mort. Nous avons également édité Poèmas de pròsa, un recueil posthume, aux yeux de tous magnifique. En 2012, nous avons fait paraître Per camins, un très beau recueil de Jean‑Paul Creissac, auteur publié par Bernard Lesfargues dès 1988 et qui ne l’avait pas été depuis.
Au mois de mai est paru Voix éclatées (de 14 à 18), collection «Paul Froment», de Patrick Quillier. Qui est-il ? Quelle est la trame de l’ouvrage ?
Patrick Quillier est poète, compositeur et traducteur, notamment du poète portugais Fernando Pessoa, dont il est l’éditeur à la Bibliothèque de la Pléiade. Cinq années durant, il a réuni des documents, lettres, témoignages et poèmes de poilus inconnus ou pas de la Grande Guerre, morts aux combats pour certains. À partir de ce travail de recherches, Patrick Quillier a souhaité composer une épopée de la Grande Guerre en décasyllabe (vers traditionnel français de l’épopée). Pour lui, ce livre a pour «mission d’être le réceptacle de voix abolies qui doivent à nouveau se faire entendre et de les projeter dans l’écoute contemporaine».
Nombreuses sont vos collections qui, par leurs datations, sont révélatrices de l’évolution des publications de la maison d’édition. Pouvez-vous spécialement nous présenter votre dernière et remarquable collection «Troubadours» ?
Depuis plusieurs années, Jean-Paul Blot nourrissait le désir de republier dans une nouvelle traduction rythmée les troubadours occitans, en général inconnus du grand public : leurs «chansons» n’étant disponibles, quelques exceptions mises à part, que dans des anthologies à caractère universitaire destinées aux occitanistes et/ou médiévistes. Nous voulions également faire connaître la richesse de cette poésie occitane qui fut si importante dans l’Europe au Moyen Âge, en publiant une collection de recueils. Chacun d’entre eux est consacré à un troubadour. Les traductions sont confiées à des spécialistes des troubadours ou connaissant la langue occitane, si possible poètes eux-mêmes. Nous venons de publier le huitième recueil de cette collection sous le titre Haut & Fort, chansons de Bertran de Born (présentation et traduction de Jean‑Pierre Thuillat), collection très bien accueillie par le public et les libraires.
Au sujet des Chansons de Guillaume d’Aquitaine, retrouvez un entretien avec l’historienne Katy Bernard, spécialiste en occitan médiéval, dans le numéro 107 de L’Actualité Poitou-Charentes. Elle a également participé à la mise en scène d’un spectacle sur Aliénor d’Aquitaine, Le testament d’Aliénor, entretien avec la scénariste Sandrine Biyi.
Pouvez-vous nous parler du poète Gabriel Mwènè Okoundji que vous avez publié de nombreuses fois ?
Six fois, en effet, dans la collection de poésie «Paul Froment» ! Gabriel Mwènè Okoundji est né à Okondo au Congo‑Brazzaville en 1964. Il s’installe à Bordeaux dans les années 1980 pour y faire des études de médecine. Les poètes occitans, dont Bernard Manciet, découvrent sa poésie et l’encouragent à poursuivre. Mwènè Okoundji ne cesse de rappeler qu’il n’est que le passeur de la parole de sa tante Ampili et de son maître Papa Pampou. Eux-mêmes qui l’ont initié lorsqu’il était enfant puis adolescent. Il écrit : «Je ne fais que danser à la cadence de leurs mots, je ne suis que l’interprète de leur dire.»
Quels souvenirs marquants à parution gardez-vous de votre longue et belle carrière de traducteurs et d’éditeurs ?
Notre arrivée pour la première fois sur l’île d’Ouessant au Salon du livre insulaire en 2003. Nous y allions car nous venions d’apprendre à notre grand étonnement qu’un de nos romans majorquins, L’Île Flaubert de Miquel Àngel Riera, avait été sélectionné pour un prix. Dans l’après-midi, nous avons eu l’immense surprise d’entendre la très belle présentation du roman par Raphaël Confiant, l’annonce que cet ouvrage avait été distingué par le Grand Prix de littérature insulaire. Et puis, la présence de la romancière bulgare Emilia Dvorianova invitée au Salon du livre de Caen en 2006 avec sa traductrice Marie Vrinat‑Nikolov par l’association Balkans‑Transit à l’occasion de la sortie de son premier livre traduit en français Passion ou la mort d’Alissa.
Si vous deviez publier un dernier livre, quelle langue privilégieriez-vous ? Pourquoi ?
Difficile à dire. Peut-être un livre d’un poète iranien en version bilingue, pour l’importance qu’ont toujours dans ce pays les grands poètes persans, que le peuple iranien n’a pas oubliés et dont leurs vers sont cités à tout propos.
Au sujet du livre Voyage dans le bleu de Chantal Detcherry lors de l’Escale du livre à Bordeaux en 2015, à la librairie Mollat.
Au sujet du livre, Comme une soif d’être homme, encore de Gabriel Okoundji lors de L’Escale du Livre à Bordeaux en 2016, à la librairie Mollat.
Éditions fédérop
Le Pont du Rôle
1, avenue du Périgord
24680 Gardonne
Tél. 05 53 27 80 95
www.federop.com
Tous nos remerciements à Laurine Rousselet pour ce bel entretien.
Les éditeurs : Bernadette Paringaux et Jean-Paul Blot