Violette Nozière, fleur des catacombes. (A. Breton)
Par Héloïse Morel
21 août 1933, dans un immeuble de la rue de Madagascar, quartier populaire du XIIe arrondissement à Paris, Violette Nozière empoisonne ses parents. Son père, ouvrier mécanicien, décède, pas la mère. Elle est soupçonnée d’avoir tué ses parents pour les voler. D’autant plus qu’après le crime, elle va faire les magasins et passer du bon temps à Montmartre.
Violette Nozière est inculpée et arrêtée. Le procès se déroule en 1934. L’historienne Anne-Emmanuelle Demartini, professeure d’histoire contemporaine à Paris 13, a écrit un livre sur cette affaire criminelle : Violette Nozière, la fleur du mal. Une histoire des années trente, (Champ Vallon, coll. « Époques », 2017). Elle est venue présenter ce fait qui fit grand bruit dans la société de l’époque lors d’une conférence organisée par l’Espace Mendès France et l’UFR lettres et langues de l’université de Poitiers, le 1er février 2018.
Comment fait-on de l’histoire avec une affaire criminelle ? Pour l’historienne, c’est une fenêtre ouverte sur la société. D’autant plus, que l’affaire Violette Nozière est un souvenir qui s’est maintenu, à la fois par le bruit que l’affaire fit dans la presse de l’époque mais encore récemment avec les bandes dessinées qui ont relaté l’histoire et le film réalisé par Claude Chabrol en 1978, mettant en scène Isabelle Hupert.
« En 1933, Hitler arrive au pouvoir en Allemagne et Violette Nozière empoisonne son père. Alors évidemment, à côté de Hitler, Violette Nozière apparaît un peu anecdotique mais je défends l’idée qu’on peut faire de l’histoire avec Violette Nozière comme avec Hitler. L’idée c’est de partir du petit fait, indigne, dérisoire dans la hiérarchie des objets de l’histoire, et à partir de là, voir large. C’est de la microhistoire que je comprends comme une forme d’histoire totale. »
Pour Anne-Emmanuelle Demartini, cette affaire permet d’étudier la culture de masse, le fait divers, l’inceste, le fait d’être une jeune fille dans une société patriarcale. Le contexte médiatique est central à l’aune d’une période où les journaux hebdomadaires sont légions et imprimés à des millions d’exemplaires. Le Petit Parisien est tiré à 1,6 million d’exemplaires chaque jour. Les journaux spécialisés dans les faits divers voient le jour durant l’entre-deux-guerres comme Détective. Cette publicité de l’affaire entraîne des faits cocasses. Entre le 22 et le 28 août, Violette Nozière est fugitive, Le Figaro raconte qu’elle aurait été vue dans une dizaine de villes d’après les témoignages. « La police cherche, mais tout le monde cherche avec elle. Mieux, le journal précède la police et chacun, qui lit le journal et qui est prédisposé par tant de reportages, de films, s’est déjà mis en quête » écrit Drieu La Rochelle dans Marianne, le 6 septembre 1933.
« Le crime de Violette Nozière est le superlatif du crime »
Le crime est monstrueux, il l’est d’autant plus qu’il est rare dans les statistiques, précise l’historienne. Il y a moins de dix affaires de parricide par an. Violette Nozière tue son père dans une société régie par le Code civil où le patriarche est le pilier de l’ordre. Elle tente également de tuer sa mère. Son arme : le poison, réputé propre aux femmes qui seraient plus empoisonneuses qu’usagères de l’arme blanche. Jeune fille de 18 ans, elle est jolie et commet le sacrilège par le crime de l’ombre, de la lâcheté. Mauriac écrit dans L’Écho de Paris : « il semble que son forfait soit plus grand qu’elle ».
« Tout, ici se trouve réuni, l’absence complète de morale, le goût exacerbé du lucre et du plaisir, l’inconscience du mal, la cruauté la plus atroce, l’indifférence la plus absolue dénuée de tout remords après le geste le plus répugnant. Le crime de Violette Nozière est le superlatif du crime. » C’est ainsi que Police magazine décrit la frivolité de la jeune fille, le 10 septembre 1933.
Il ne s’agit pas de ce mobile ordinaire mais bien d’une problématique sexuelle. Violette Nozière déclare : « Si j’ai agi ainsi ainsi vis-à-vis de mes parents, c’est que, depuis six ans, mon père abusait de moi ». Elle livre à un amant, Pierre Camus : « Mon père oublie quelquefois que je suis sa fille ». La presse s’en indigne, d’autant plus qu’elle a une vie sexuelle jugée précoce en collectionnant les amants dont un musicien de jazz noir. Elle est décrite comme la fille indigne, salissant la mémoire d’un père ouvrier, considéré comme un homme respectable, assurant la vie d’un foyer modeste.
Le geste poétique face à l’inceste
L’historienne développe sur l’inceste et le tabou lié à cet acte faisant appel à Michel Foucault et à l’Histoire de la sexualité. Dans le premier tome, le philosophe explique ainsi l’emprise du tabou sur l’inceste dans une logique qui consiste à « affirmer que ça n’est pas permis, empêcher que ça soit dit, nier que ça existe ». La presse n’écrit pas le mot inceste mais a recours à des périphrases pour désigner « l’infâme ». Elle se divise entre ceux qui la croient et mettent en avant des éléments de preuve : « confidences à des camarades sur les relations avec son père, chiffon tâché de sperme retrouvé au domicile » et ceux qui pensent qu’elle affabule.
Quelques mois après avoir défendu les sœurs Papin, les surréalistes publient, le 1er décembre 1933, un recueil en hommage à Violette Nozière. En couverture, une photographie de Man Ray, à l’intérieur, huit poèmes (André Breton, René Char, Paul Éluard, Maurice Henry, E.L.T. Mesens, César Moro, Benjamin Peret, Guy Rosey) et huit dessins (Salvador Dali, Yves Tanguy, Max Ernst, Victor Brauner, René Magritte, Marcel Jean, Hans Arp et Alberto Giacometti). Anne-Emmanuelle Demartini écrit, à propos de cette démarche, qu’« en pensant le crime de Violette Nozière comme un acte de révolte individuelle, ils lui reconnaissent une authentique dimension révolutionnaire ».
« […] Violette rêvait de bains de lait,
De belles robes
De pain frais
De belles robes
De sang pur
Un jour il n’y aura plus de père
Dans les jardins de la jeunesse
Il y aura des inconnus
Tous les inconnus
Les hommes pour lesquels on est toujours neuve
Et la première
Les hommes pour lesquels on échappe à soi-même
Les hommes pour lesquels on n’est la fille de personne
Violette a rêvé de défaire
A défait
L’affreux nœud de serpents des liens du sang. »Paul Éluard
Violette, tragédie grecque
« Ce que tu fuyais
Tu ne pouvais le perdre que dans les bras du hasard
Qui rend flottantes les fins d’après-midi de Paris autour des femmes au yeux de cristal fou
Livrées au grand désir anonyme
Auquel fait merveilleusement uniquement
Silencieusement écho
Pour nous le nom que ton père t’a donné et ravi »André Breton
« Papa
Mon petit papa tu me fais mal
disait-elle
Mais le papa qui sentait le feu de sa locomotive
un peu en dessous de son nombril
violait
dans la tonnelle du jardin
au milieu des manches de pelle qui l’inspiraient »Benjamin Péret
Les surréalistes établissent un lien entre l’inceste et les relations sexuelles de la jeune fille, ils lient l’inceste au parricide. En fuyant vers d’autres hommes, Violette Nozière fuit son père. « Le recueil joue sur l’intertexte des tragédies grecques. » Notamment avec les références à Eschyle et Œdipe.
« André Breton écrit d’elle : “Mythologique jusqu’au bout des ongles.” Les surréalistes affirment et écrivent à l’indicatif. Ils emploient les mots littéralement pour dénoncer “le petit papa qui violait”. » Le tabou est là mais les mots des surréalistes sont crus pour délier ce qui était passé sous silence. La photographie de Man Ray en couverture montre un « N » brisé, posé sur des violettes fraîches. Anne-Emmanuelle Demartini précise, la symbolique est celle de la « poétique du viol ». Les surréalistes utilisent le fait divers pour protester, dénoncer un fait social. C’est ainsi qu’ils avaient agi lors du procès des sœurs Papin. Cependant l’effet attendu par le recueil n’a pas été à la hauteur. Le recueil est publié en Belgique aux éditions Nicolas Flamel, et la douane française saisit une partie de l’édition. Les exemplaires sont peu diffusés, peu lus.
Contrairement au jurés qui ne la croient pas, les surréalistes ont pris en considération sa parole. In fine, l’inceste est évacué du procès, les jurés sont tous des hommes de l’âge du père. L’affaire a divisé, l’historienne rend compte des archives qu’elle a consultées et notamment de nombreuses lettres adressées au juge, écrites par des femmes qui disent « moi aussi, je suis victime de l’inceste ». Pour autant, l’affaire Nozière, bien qu’ayant défrayé la chronique, ne permet pas une discussion sociale sur l’inceste.
Violette Nozière reçoit comme sentence la peine de mort. Or, bénéficiant de l’indulgence pénale, les femmes condamnées à mort ne sont plus exécutées depuis la fin du xixe siècle. Violette Nozière est libérée en 1945. En 1963, mesure exceptionnelle dans l’histoire de la justice française, elle est réhabilitée après trente ans de bonne conduite. Elle se marie avec le fils du greffier de la prison, devient une épouse, une mère et une fille dévouée. Elle s’occupe de sa mère, travaille et jusqu’à sa mort, survenue en 1966, ses enfants n’auront pas connaissance du passé de leur mère. L’affaire Violette Nozière a suscité un débat social qui dépasse le simple fait divers.
Pour aller plus loin
L’historienne Anne-Emmanuelle Demartini a donné une conférence avec l’historien Frédéric Chauvaud, le 1er février 2018 lors des Amphis des lettres, cycle de conférences organisé par l’Espace Mendès France et l’UFR Lettres et Langues de l’université de Poitiers. Pour réécouter la conférence : Causes célèbres, belles affaires et littérature (1810–1930).
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