Sculpté comme un pyjama
Par Jean-Luc Terradillos
Blanc sur fond blanc, pieds nus, la tête levée vers le ciel… là-haut, que cherche-t-il ? Son vêtement, est-ce vraiment un pyjama ? Serait-il déjà au Paradis ? En effet, les bienheureux sont souvent représentés dans de vaporeuses tenues blanches. Ou bien serait-il le résident d’un vieil hôpital psychiatrique ? Non, c’est Fergus Martin, peintre mais aussi sculpteur, plutôt minimaliste à tendance monochrome, qui pose dans son atelier à Dublin devant son complice photographe Anthony Hobbs. Oui, il est bien vêtu d’un pyjama blanc. Sachant que l’histoire de l’art se fait aussi grâce aux détails, nous lui avons demandé de nous raconter d’où venait ce pyjama qu’il utilise ici comme un matériau.
Premier détour en Italie : les onze postures qui constituent cette œuvre, Frieze, évoquent la composition et les mouvements de onze apôtres – le douzième pourrait être le spectateur – de L’Assomption de la Vierge de Rosso Fiorentino (1517). Puisqu’il s’agit de onze états d’être, inutile de s’inspirer des vêtements de la Renaissance. Au contraire, cela exige à la fois de la retenue, de la légèreté, une sorte de neutre qui ne vienne pas distraire le regard.
«Nous voulions créer une figure plus contemporaine, plus intemporelle, plus simple, affirme Fergus Martin. J’ai trouvé ce modèle de pyjama dans un magasin à Dublin. La coupe était parfaite mais le coton trop ordinaire. Nous voulions que le tissu tombe sur le corps comme la draperie des anciennes statues romaines en marbre.»
Retour en Italie : «M’est alors revenu un souvenir, lorsque je vivais à Milan, des magasins vendaient du tessuti per camicie, un coton riche et beau pour faire des chemises. Cette tradition se perpétue. Je suis donc allé à Milan. Dans un magasin, quand j’ai parlé de mon projet, le commerçant m’a donné tout le temps pour chercher moi-même ce que je voulais. Quand il a jeté la balle de coton sur le comptoir pour la dérouler, c’était comme du lait volant dans les airs. Ensuite, un tailleur de Dublin a fabriqué plusieurs paires de ces pyjamas blancs. Il a parfaitement compris ce que nous voulions. J’adore les boutons en caoutchouc translucides.»
Pièce monumentale, Frieze a été créée en 2003 pour l’Irish Museum of Modern Art à Dublin et recréée en 2013 pour la Biennale internationale d’art contemporain de Melle, à l’hôtel de Ménoc. Rappelons que la première exposition de Fergus Martin en France eut lieu en 1996 au Confort Moderne, à Poitiers, lors de L’imaginaire irlandais.
Ce pyjama-matériau est présent dans d’autres photographies de Martin & Hobbs, notamment My Paradis is Here, installation pour l’Oratorio di San Ludovico de Venise (2003) et My Paradise is Now pour l’église Saint-Pierre de Melle (2013).
Frieze a été prêtée à un nouveau centre de santé sur le terrain d’un hôpital psychiatrique fermé depuis longtemps à Dublin. De vieilles personnes ont raconté aux artistes que ces images ravivaient la mémoire de l’ancien asile à la réputation effrayante, alors que les jeunes travaillant dans ce nouvel établissement appréciaient la légèreté bienfaisante de ces photographies. Encourageante expérience ! Assomption ou pas…
«Ma mère, raconte Fergus Martin, qui était très spirituelle, m’a fait grand plaisir quand on lui a demandé lors de l’une de nos expositions :
— Que pensez-vous de ces photos de Fergus ?
— Mais ce n’est pas Fergus, c’est Monsieur Tout-le-Monde !»
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