Pour l’arbre et pour l’oiseau

Jean Mottet dans la forêt de la Bonne Foussie devant son kiosque pour écouter la pluie et les oiseaux. Photo Marc Deneyer.

Par Jean-Luc Terradillos

«L’activité inlassable de forestier-professeur de cinéma correspond à l’attente de notre temps.» Alain Corbin salue ainsi l’itinéraire de vie de Jean Mottet, «fruit d’une passion ininterrompue, vécue sous diverses formes : celle de la forêt et de ce qui la peuple». Le grand historien des sensibilités qui a écrit sur l’arbre, sur l’herbe, sur le vent, et sur bien d’autres sujets inattendus, a beaucoup appris au contact de Jean Mottet. C’est donc tout naturellement qu’il signe la préface de l’autobiographie de celui qui fut son collègue à la Sorbonne, Pour l’arbre et pour l’oiseau (Les éditions du Ruisseau).

Ce livre est né dans l’angoisse du premier confinement. Jean Mottet n’avait pas besoin d’ajouter un ouvrage à ses publications savantes (publiées principalement chez Champ Vallon). Il l’a écrit pour ses enfants, sans se référer à un quelconque carnet de bord, simplement avec les petits cailloux de la mémoire car «jamais je n’ai eu le moindre désir de saisir ma vie dans son déroulement quotidien, d’écrire une autobiographie».

De Toulouse à New York

Doué pour les langues, passionné de littérature et de cinéma, Jean Mottet a quitté ses Ardennes natales et belges, pour Toulouse où il obtient une licence de lettres sous la direction de Georges Mailhos qui le conduit à entreprendre une thèse sur le réalisateur David Wark Griffith à l’université de Montpellier, avec Henri Agel, qui est à l’époque le seul professeur habilité à diriger une thèse en cinéma. C’est ainsi qu’à l’automne 1971, il débarque à New York avec pour seule adresse, celle d’un ami de l’Ariège avec qui il avait chassé le coq de bruyère dans les Pyrénées, tout près du MoMA qui conserve les archives de Griffith. En France, il n’avait pas pu visionner les fonds de la Cinémathèque française et de l’INA, en raison des conditions d’accès compliquées et fort coûteuses. À New York, il se présente au Film Department du MoMA et obtient aussitôt, sans la moindre recommandation, un rendez-vous avec la conservatrice, Eileen Bowser, qui lui ouvre toutes les portes, et gratuitement !

«Les péripéties de Jean Mottet à New York sont émouvantes, écrit Alain Corbin dans sa préface. Je suis personnellement touché par la candeur perceptible sur la photographie du jeune vendeur de glace.»

Les mœurs académiques sont différentes, de même que la vie quotidienne alimentée par des petits boulots. «Une anecdote est révélatrice : alors que je vendais des glaces du côté de la 53e rue, à deux pas du musée, un peu gêné, je croise Eileen Bowser à qui, je l’avoue, je n’avais pas osé faire part de ma précarité financière ! Avec ma modeste maîtrise de lettres modernes, je m’estimais déjà heureux d’avoir été admis ainsi dans le Gotha de la conservation des films. Le lendemain, c’est comme d’habitude avec un large sourire qu’elle m’accueillait pour me conseiller dans mes recherches. Toute la petite communauté du Film Department avait rapidement été mise au courant de ma double vie et redoubla d’amabilités. Jamais, sur les quais de la gare Matabiau de Toulouse, quand je vendais mes esquimaux Gervais, je n’aurais imaginé que ce petit boulot contribuerait à m’ouvrir de telles portes à Manhattan !» Ni qu’il aurait rencontré à la cinémathèque du MoMA celle qui allait devenir sa femme, Monique, étudiante en séjour linguistique. Fellini au programme, Huit et demi, il croit deviner la beauté d’une Italienne. Non, c’est une Corrézienne, fille du directeur de l’ONF du Limousin et propriétaire forestier. Étrange coïncidence : Jean Mottet est fils de garde-forestier, autant dire un manant. «Notre rencontre a l’apparence d’une confrontation de deux mondes.» Il raconte avec humour comment le jeune universitaire chevelu et barbu a réussi son «examen de passage» auprès du beau-père et de ses amis de la bonne bourgeoisie limougeaude, lors d’une battue au gros gibier dans la forêt familiale, à la Bonne Foussie (Sarlande). Avec le fusil de son père – «une antiquité» qui fait sourire les autres chasseurs – et avec des balles «brenneke calibre 12» dans un canon non rayé, à 50 mètres il abat le sanglier d’un seul coup, en plein cœur !

Cette précision, il la cultive depuis l’enfance. Né en 1942 dans une famille de taiseux, il passait son temps dans la forêt, à chasser avec sa carabine. «J’appartenais corps et âme à mon petit pays, de père garde-forestier, sauvageon de la forêt, courant les bois avec une âme de chien de chasse, à l’affût du petit gibier : pigeons ramiers, grives, merles, lapins. […] Dès le plus jeune âge, les trésors d’observation et de patience dégagés pour approcher le gibier m’ont permis de pénétrer son habitat, d’inventer une première intelligence avec la nature.»

Abbas Kiarostami en compagnie de Jean Mottet en 2000 lors des premières journées de l’arbre à la Bonne Foussie. Photo Henri Guillen.

Écologiste sans aucun doute mais pas anti-chasse, Jean Mottet a vu des amis s’éloigner même s’il ne pratique plus – trop fatiguant – et leur destine quelques citations des pionniers de l’écologie qui furent de grands chasseurs : John Muir, Aldo Leopold, Henry David Thoreau, William Henry Hudson, Gilbert White, Jean-Jacques Audubon…

D’abord recruté à l’université de Tours, Jean Mottet devient un spécialiste des «paysages du cinéma», titre du colloque qu’il organise en 1996, dont les actes ont paru chez Champ Vallon en 1999. C’est d’ailleurs la couverture de ce livre repéré dans une librairie parisienne – la photo de l’affiche de Urga, film de Nikita Mikhalkov – qui aurait fait tilt dans la tête d’Abbas Kiarostami quand il accepta d’aller à la Bonne Foussie participer au colloque «L’arbre dans le paysage». Un événement qui va établir la renommée des «Journées de l’arbre». Wim Wenders viendra lui aussi planter un arbre en 2015. Jean Mottet s’intéresse aux théoriciens du paysage, comme Alain Roger, Augustin Berque, Michel Collot et les invite sur le terrain, à la rencontre des arbres et des humains, ainsi que bien d’autres universitaires. Des livres sont issus de ces journées. D’autres rencontres ont compté, notamment avec Mario Rigoni Stern, Hayao Miyazaki, Naomi Kawase, Juliette Binoche, Jean Boucault, Gilles Clément (entretien dans L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, n° 125).

Programme européen Reinfforce

Jean Mottet décrit une vie de forestier qui n’est en rien comparable à celle du «promeneur solitaire» de Jean-Jacques Rousseau. Il y a des catastrophes comme l’ouragan de 1999 mais aussi des «tempêtes silencieuses» : la surpopulation du gros gibier qui mange les jeunes pousses et empêche la régénérescence de la forêt et surtout le changement climatique. Lentement, les arbres dépérissent. Certains plus rapidement comme les châtaigniers. Alors que faut-il planter ? Difficile de répondre car la forêt exige du long terme. Les scientifiques aussi ont besoin de temps.

En 2011, Jean Mottet a confié une parcelle de 2 hectares à l’Inra de Bordeaux afin de créer un arboretum expérimental dont les résultats seront évalués au terme d’une quinzaine d’années. Ce projet s’inscrit dans le programme européen Reinfforce (Réseau infrastructure de recherche pour le suivi et l’adaptation des forêts au changement climatique). Près de 2 000 arbres ont été plantés, soit 34 essences de résineux et feuillus du monde entier.

Wim Wenders a planté un chêne en 2015 dans l’arboretum de la Bonne Foussie. Photo Enora Boutin.

22 000 arbres plantés en 2021

La forêt de Jean Mottet, qui s’étend sur 130 ha (sous garantie de gestion durable), vient de s’agrandir. En effet, 13,22 ha de terres agricoles ont été boisés en novembre 2021, dans le cadre du projet de séquestration carbone expertisé par le Centre d’étude technique environnemental et forestier (Cetef), et labellisé «bas carbone» par le ministère de l’Écologie.

Parmi les 22 000 arbres plantés, le chêne sessile constitue l’essence principale, avec le charme en accompagnement (et le cèdre de l’Atlas sur la plus petite parcelle de 3 ha), à cela s’ajoutent un certain nombre de fruitiers sauvages : merisier, poirier, alisier torminal, sorbier des oiseleurs. «Les fruitiers, qui représentent environ 7 % de cette plantation, sont un choix personnel, souligne Jean Mottet. Ils attirent les oiseaux. Pommiers et poiriers sauvages faisaient partie de la forêt ancestrale il y a encore cinquante ans.» Notons qu’il a fallu installer 2 km de clôture pour protéger les jeunes pousses de l’appétit du gros gibier en surpopulation.

Les références de Jean Mottet sont souvent littéraires. C’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’il fait l’éloge de Richard Powers qui comprend «la crise écologique comme crise de la sensibilité». Et de citer L’Arbre-Monde : «Le monde va à sa perte précisément parce que aucun roman n’est capable de présenter l’engagement pour la planète comme étant aussi fascinant que la lutte entre quelques personnes.»

Jean Mottet, Pour l’arbre et pour l’oiseau, préface d’Alain Corbin, Les éditions du Ruisseau, 286 p., 20 €

A propos de Jean-Luc Terradillos
Journaliste, rédacteur en chef de la revue L'Actualité Nouvelle-Aquitaine.

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