Petite histoire du pyjama
Par Simon Vincent
Avec l’émergence du survêtement dans les années 1970, un engouement ressurgit pour le homewear, soit le vêtement d’intérieur. Une mode qui ne cesse de se consolider aujourd’hui comme le confirme la rafraichissante parution de L’Étiquette. Mais avant la démocratisation des sweater et autres pièces molletonnées, le vêtement d’intérieur était un luxe avec une histoire en dents de scie.
Contrevenant aux fastes de l’étiquette d’Ancien Régime, le costume noir masculin traverse le xixe siècle, inamovible. Le vêtement d’intérieur se réduit alors à la robe de chambre (adoptée depuis le xviie siècle), et à l’éternelle chemise de nuit pour le sommeil. Mais quelques dandies tels qu’Oscar Wilde, Gustave Doré ou Isidore de Lara adoptent la veste d’intérieur pour son confort et son élégance. Certains considèrent cette évolution chic de la robe de chambre en veston comme l’ancêtre du tuxedo ou smoking en français, un vêtement destiné aux discussions autour d’un bon verre et sous les volutes épaisses des cigares. La robe de chambre, vêtement de détente, se démocratise quelque peu et prend au xixe siècle de riches ornements qui contrastent de plus en plus avec la rigueur du vestiaire masculin. Quelques excentriques s’amusent même à la montrer hors de la sphère privée.
Alors que la presse de mode masculine émerge au début du xxe siècle, la couleur peine à s’immiscer dans le vestiaire masculin. Pourtant, la revue Monsieur (1919–1924) va prédire et commenter l’avalanche de fantaisies que présente la nouvelle mode des vêtements d’intérieur. Notamment le pyjama que l’homme moderne peut même exposer à ses amis comme l’attestent les nombreuses illustrations et articles sur le sujet.
Pierre de Trévières, romancier des bonnes mœurs voit dans ce vêtement la quintessence des Années folles et du chic français. Dans un article intitulé «Pyjamas et robes de chambre» (Monsieur, n° 2, février 1920), il tente d’en retracer l’itinéraire historique. Il écrit que :«L’École des Chartes admet nettement l’essence hindoue du pyjamah – avec un h.» En effet, on trouve dès 1837 la trace d’un pyjaamah en satin blanc que porte une jeune femme hindoue pour illustrer un article sur les «Mœurs étrangères» sous-titré «Les femmes dans l’Inde» (Journal des jeunes personnes, 1837, pp. 163 à 173).
Pierre de Trévières développe par la suite que «[…] le pyjamah, vêtement de repos de quelque officier anglais, dandy tenace et convaincu, traverse la mer, perd son h – l’h d’abordage – et aborde en Amérique du Sud. Succès manifeste. Sa vogue est attestée par des documents authentiques. Parure de sieste et de nonchalance, il subit soudain une transformation essentielle : dans les villes soumises aux tremblements de terre fréquents, les mondains l’adoptent d’enthousiaste comme vêtement nocturne. […] Sa vogue s’étend. Il franchit l’isthme de Panama, fait une courte apparition au Mexique et s’épanouit enfin aux États-Unis. Son allure, stricte, nette plaît aux Yankees. Les Transatlantiques notoires l’adoptent pour les traversées. […] L’Angleterre ravie, retrouve avec joie ce fils chéri de sa colonie lointaine. Puis le pyjama traverse le “Chanel“ et débarque en France. Succès lent, modeste, un peu hésitant. Il fallut les heures noires des Gothas [bombardiers allemands opérationnels pendant la Première Guerre mondiale, ndlr] et les flirts dans les caves pour montrer les charmes et les avantages de cette parure… Ainsi s’établit le premier stade de cette évolution sensationnelle : le pyjama vêtement de nuit.»
L’histoire est belle. L’homme se libère ainsi de la chemise de nuit, ce « sac horrifique, où nous enfermons nos rêves et nos émois ! » écrit l’auteur. La vogue du pyjama est aussi visible chez les femmes qui le porte en extérieur – notamment sur les plages françaises au milieu des années 1920 – sous l’impulsion de la modiste Gabrielle “Coco“ Chanel qui le popularise.
Mais alors que le pyjama anglo-saxon est utilitaire et sobre, le pyjama français est «mondain, élégant, je dirai même tout bas le pyjama [est] galant», triomphe Pierre de Trévières. En effet, le pyjama de Monsieur est fait des plus belles soieries ; il est vif, généreux, éclatant, embelli de ramages, amusant et donc si français :
«Toutes la fantaisie parisienne, toute l’audace française illustrent ces soieries : satins éclatants et de coloris violents, petites rayures ou pastilles d’or, fresques persanes, hindoues, sombres moires à peine rehaussées d’un passepoil orange, soieries japonaises, cachemire noir d’un chic miraculeux enrichi d’une unique broderie japonaise au dos et aux manches avec le pantalon mexicain ouvert sur une broderie d’or.»
Enfin de la fantaisie et de la couleur dans le terne vestiaire masculin. Il y a de grandes espérances dans ces vêtements, sorte de rébellion aristocratique de la coquetterie et du bon ton. C’est, enfin, une issue à la morne rigoureuse du costume noir, aux règlementations protocolaires qui contraignent les hommes de goût. Car, tout de même «notre génie sait allier, avec une grâce incomparable, le sublime au confortable, le divin au délectable».
Simon Vincent est doctorant en histoire contemporaine à l’université de Poitiers. En 2019, il a soutenu son master 2 sur le thème : Monsieur, et l’invention de la presse masculine. Évolution et apogée d’une revue dans le vestiaire masculin dans la France des années 1920.
«René Boylesve, arbitre des élégances !», L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 126, automne 2019.
Pour aller plus loin
Cally Blackman, 100 ans de mode masculine, éd. Eyrolles, 2009.
John Harvey, Des hommes en noir. Du costume masculin à travers les siècles, éd. Abbeville, 1998 [1960].
Justin Parkinson, «When pyjamas ruled the fashion world», dans BBC News Magazine, 31 janvier 2016.
Histoire très intéressante. C’est important de connaitre d’où viens cette ingénieuse idée qui à inspirer la fridolétence ! Notre mode de vie de pyjama permanent !
Si ça vous intéresse: https://lartdelafridoletence.wordpress.com/