Les créatures informatiques de Raphaël Jean
Par Lison Gevers
Raphaël Jean est photographe professionnel depuis plus de quarante ans. Passionné par l’image de synthèse, il crée des séries de plantes, animaux et humains dont l’ADN se mélange informatiquement.
«Dans les années 1990 j’avais une quête personnelle, je voulais savoir si nous étions capables de réaliser virtuellement des objets aussi réels que dans la réalité. Le résultat était intéressant. Mais le domaine organique m’intéressait plus que les objets qui pouvaient être photographiés facilement. Cependant, à cette époque, les ordinateurs n’étaient pas assez performants. J’ai donc abandonné l’idée et recommencé il y a maintenant une dizaine d’années en créant des choses qui n’existent pas, en inventant un monde à moi.»
Le petit monde imaginaire du radis noir
L’artiste travaille sur quatre différentes séries : le végétal et l’homme, les sphères, les ethnies imaginaires et des créations pour illustrer les albums pour enfants et adolescents intitulées «le petit monde imaginaire du radis noir».
Lorsqu’on lui demande pourquoi ce choix de titre il répond en un sourire «tout simplement parce que je m’habille souvent en noir et un jour un collègue m’a dit “tiens voilà le radis noir”». Nous comprenons alors que ce monde imaginaire est celui de Raphaël Jean qui mélange virtuellement l’ADN dans la quête d’une créature qui viendrait bouleverser tous les codes physiques et biologiques existants. L’artiste crée des images de synthèse mais il peut parfois avoir recourt à ses propres photographies qu’il intègre à ses compositions (aigrette, pigeons).
«Certaines de mes créations peuvent être utilisées dans l’imaginaire de la science-fiction. J’ai eu une commande pour la couverture d’un livre par exemple.»
Ses œuvres sont imprimées sur un papier américain fait à partir de coton qui est notamment utilisé par les musées. Celui-ci a la particularité de ne pas être acide. Son ph neutre permet une conservation optimale et la couleur ne se dégrade pas. Ce procédé, appelé digigraphie, assure la pérennité de l’œuvre. Les encres utilisées sont végétales sans produits chimiques.
Un écosystème virtuel
«Je suis parti du principe qu’à l’origine il a le végétal, les insectes et puis l’animal. Certains végétaux sont pollinisés par les insectes. Sans eux, certains végétaux n’existeraient pas. Les petits animaux tels que les batraciens se nourrissent des insectes pour être à leur tour mangés par d’autres animaux. Une sorte de chaîne alimentaire se construit et mes créations sont finalement inspirées de cet écosystème.»
Mais alors que de nombreux artistes expriment leur art à travers la peinture ou le dessin, Raphaël Jean exprime le sien à travers des logiciels informatiques. Au départ il utilisait Xfrog, un logiciel d’origine allemande dont la finalité est de créer des végétaux. «J’ai détourné sa vocation pour en faire ce que je voulais. Je fais le gros œuvre de l’insecte, ensuite je l’exporte dans Photoshop pour finaliser la création en ajoutant les textures, les détails, les ombres, les lumières. J’ai aussi d’autres techniques, dont une qui consiste à dessiner directement un croquis sur l’écran d’ordinateur que j’exporte par la suite dans Photoshop pour les finitions. Une dernière façon de travailler consiste à dessiner mon croquis sur un bloc. Puis je le scanne et je l’exporte dans Photoshop pour les finitions.»
Des créations très réalistes
Raphaël Jean explique : «J’ai été plus loin dans la démarche en contactant des spécialistes. Pour les végétaux j’ai contacté le professeur Gérard Aymonin qui était botaniste, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, pour avoir son avis. Au départ il m’a dit “surtout ne mettez pas ça sur internet, les gens vont croire que ça existe”. J’ai dû lui expliquer ma démarche artistique et qu’il n’y avait rien de scientifique.» En effet, ses créations ressemblent à s’y méprendre à des végétaux ou des insectes que nous pourrions croiser dans la nature. Il a aussi repris la façon qu’ont les botanistes et les entomologistes de classer les espèces en inventant un nom en latin et en français. L’artiste a aussi contacté François Couplan, un paléo ethno botaniste ainsi que Jean-Marie Pelt, l’ancien président de l’institut européen d’écologie, une association de recherche et de mise en valeur de l’écologie en milieu urbain. «Il avait trouvé mon travail très intéressant et je lui ai offert une œuvre», se souvient-il. Il a eu la même démarche par la suite en créant sa série sur les insectes en entrant en contact avec un chercheur entomologiste du Cirad de Montpellier, lui aussi artiste, qui a donc été plus sensible à sa démarche.
Raphaël Jean se distingue par l’originalité de son concept. «J’ai remplacé le crayon par la souris, l’ordinateur est un outil.» Cette technique de travail intéresse notamment le jeune public qui connaît la difficulté de créer sur ordinateur.
Malgré le réalisme de ses œuvres, Raphaël Jean ne s’inspire pourtant pas de la nature et imagine complètement ses espèces. «Si elles sont aussi réalistes c’est surtout parce que nous avons tous une mémoire qui enregistre tout. Je ne peux pas inventer des choses que je n’ai jamais vues.»
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