La vie des coléoptères d’Europe
Entretien Marie-Lou Paitre
Denis Richard, docteur en pharmacie, et Pierre-Olivier Maquart, docteur en sciences, signent un ouvrage dense et technique sur les mœurs des coléoptères, qui constituent l’ordre le plus important de la classe des insectes. Ces entomologistes passionnés révèlent l’univers méconnu de ces petits animaux si nécessaire aux processus biologiques et à l’équilibre des écosystèmes.
L’Actualité. – Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux coléoptères ?
Denis Richard. – Les insectes sont une passion d’enfance. À l’époque il était facile d’en observer des dizaines et des dizaines dès que l’on sortait à la campagne ou même au centre-ville. Mon intérêt pour les animaux s’est développé et j’ai suivi des études relatives à la nature, plus précisément relatives aux végétaux et à la chimie des substances naturelles car je suis devenu pharmacien. Notre intérêt partagé pour les coléoptères m’a fait commencer à travailler il y a maintenant près de quatre ans avec Pierre-Olivier Maquart, ancien stagiaire du Jardin aux insectes que j’avais fondé en 1998 à Poitiers. Le hasard a fait que nous nous sommes retrouvés par la suite, lui étant devenu coléoptériste et entomologiste professionnel. Notre rencontre a débouché sur une collaboration récurrente : nous avons ainsi travaillé tous deux avec le musée des Confluences à Lyon pour une exposition sur les coléoptères («Coléoptères, insectes extraordinaires», du 21/02/2018 au 03/11/2019) – après une précédente collaboration pour l’exposition «Venenum : poisons et venins dans la nature». Nous écrivons tous les mois au moins un article pour la revue Insectes et nous avons œuvré à quatre mains pour La vie des Coléoptères d’Europe. Ce livre constitue une manière de suite à un ouvrage que j’avais écrit avec Vincent Albouy, un Guide des Coléoptères d’Europe (Delachaux et Niestlé, 2017), qui présentait les coléoptères sous l’angle de leur identification alors que ce nouvel ouvrage présente leurs mœurs.
Comment avez-vous conçu cet ouvrage ?
Puisque nous abordions les mœurs, nous n’allions pas attaquer la question sous un angle systématique, taxonomique. Nous avons donc logiquement choisi un abord correspondant à des aspects divers de leur vie (se nourrir, se reproduire, communiquer, se défendre, etc.) que nous avons accompagné d’exemples emblématiques ou illustrant une actualité récente dans les recherches. L’iconographie correspond à des insectes que les gens peuvent voir ou avoir du moins en tête (coccinelle, hanneton, doryphore). Et puisque l’ouvrage a une vocation européenne, il fallait balayer par les exemples la majeure partie de ce territoire.
Combien y a‑t-il de coléoptères, où vivent-ils ?
Les coléoptères représentent le groupe animal le plus important. Nous ne connaissons pas toutes les espèces et certaines disparaissent avant même qu’elles n’aient été découvertes. Environ 450 000 d’entre elles sont décrites, mais nous imaginons aisément qu’il y en a bien plus et certains spécialistes vont jusqu’à penser qu’il y en aurait près d’un million.
Ils occupent tous les milieux à l’exception des régions proprement polaires bien qu’ils s’en rapprochent, dans l’archipel Crozet par exemple. Il n’y en a pas dans le milieu marin, comme d’autres insectes d’ailleurs, tout simplement parce que la place y est occupée par d’autres arthropodes : les crustacés.
Comment passent-ils l’hiver dans nos régions ?
Leur physiologie et leur comportement leur permet de s’adapter de façon efficace aux saisons dans les pays où la saisonnalité est marquée. Généralement, ils hivernent au stade d’oeuf, de larve, de nymphe ou d’adulte, protégés sous des écorces, des pierres, sous terre, etc. Tout ceci variant selon leurs mœurs, leur habitat, leur régime alimentaire, etc. Il est notamment fréquent en forêt que des coléoptères dont la larve se nourrit de bois en décomposition, devenus adultes à l’automne, restent dans leur loge nymphale durant l’hiver pour n’en émerger qu’au printemps, lorsque les conditions sont devenues favorables.
Vous évoquez un phénomène biologique important, celui des symbioses avec d’autres organismes vivants…
Oui, effectivement. C’est fondamental mais plutôt complexe… Et difficile à résumer ici. L’association symbiotique avec des organismes plus ou moins microscopiques, généralement des bactéries ou des champignons microscopiques, conditionne l’existence même de nombreux coléoptères qui, sans elles, ne pourraient pas se nourrir, exploiter le bois, etc. Un coléoptère, chaque insecte d’ailleurs, chaque organisme vivant est ainsi un univers entier de créatures en étroites interactions ! Les symbiotes ne sont cependant pas forcément minuscules ! Des acariens, pour prendre cet exemple amusant, utilisent certains coléoptères comme un véhicule qui les emmène vers leurs sources de nourriture (déjections ou cadavres) mais aussi de reproduction et de développement ; devenus adultes, les sujets de la génération suivante montent sur un autre «taxi» pour se disperser. Et en échange… ils nettoient les téguments de l’insecte.
Quelles interactions les coléoptères entretiennent-ils avec l’espèce humaine ?
Les coléoptères n’interfèrent que peu avec les activités humaines, exception faite d’une petite minorité d’espèces problématiques en ce qu’elles s’attaquent aux cultures, aux denrées stockées, au bois, etc. Les scolytes par exemple peuvent tuer des arbres, en creusant sous l’écorce de minuscules galeries qui coupent les vaisseaux du tronc et qui empêchent la sève de circuler. Mais ils ne sont redoutables que pour des sujets déjà affaiblis, ce qui devient toutefois de plus en plus fréquent avec le stress climatique.
Souffrent-ils des épandages massifs des insecticides ?
Oui, bien sûr ! Cela nous ramène au problème absolument dramatique de l’effondrement des populations d’insectes. Dans la nature, ils pâtissent de l’imprégnation insidieuse des milieux terrestres comme aquatique – y compris des réserves naturelles – par des produits phytosanitaires, notamment par des insecticides type néonicotinoïdes neurotoxiques qui les tuent directement ou, sinon, les rendent plus vulnérables à toute sortes d’agressions et perturbent leurs comportements au point qu’ils ne peuvent plus se repérer, se nourrir, se reproduire. Ils souffrent généralement du dérèglement climatique bien que certains en bénéficient, en s’étendant à la faveur du réchauffement actuel (certaines espèces péri-méditerranéennes ont gagnées la Loire, le Jura, l’Allemagne), ou en prenant pied dans des régions où ils étaient jusqu’alors inconnus à la faveur de la mondialisation commerciale, cela constituant une autre problématique en entraînant des perturbations écologiques. Plus généralement, ils pâtissent de l’anthropisation et de l’artificialisation des milieux, qui semblent sans limites, ainsi aussi, nous l’évoquions, que des pratiques d’agriculture intensive ou d’une sylviculture basées sur la rentabilité à court terme, toutes deux irrémédiablement ennemies de la biodiversité.
Sont-ils concernés par l’effondrement général de la biodiversité ?
Oui, bien sûr et le risque principal qu’ils encourent désormais, pour être lucide, est celui de la disparition de très nombreuses espèces plus ou moins spécialisées, même jadis banales, voire de groupes entiers. Pour prendre un seul exemple, on observe un effondrement considérable des populations des coléoptères vivants aux dépends des déjections animales (les coprophages) en Italie, qui ont globalement diminué des quatre cinquièmes depuis les années 1990, ce qui est extraordinairement rapide et dramatique. Ils sont victimes dans ce cas du traitement des ovins et bovins par des produits chimiques contaminants leurs déjections mais aussi de l’abandon des pratiques traditionnelles d’agro-pastoralisme. Comme tout groupe animal et végétal, passé en deçà d’un certain seuil les populations ne peuvent plus se reconstituer car la diversité génétique n’est plus suffisante. Leur déclin aura évidemment une incidence sur tous les écosystèmes puisque les coléoptères participent à des processus biologiques fondamentaux : ils jouent un rôle majeur en tant qu’agent pollinisateur (dans les pays exotiques par exemple, il y a des fleurs qui ne sont pollinisées que par des coléoptères), ils recyclent le bois et tous les types de matières organiques, en contribuant à l’élimination des cadavres, à celle des déjections des animaux, etc.
La vie des Coléoptères d’Europe de Denis Richard et Pierre-Olivier Maquart, éd. Delachaux et Niestlé, en collaboration avec le musée des Confluences, 304 p., 2019, 35 €.
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