Faune et flore du Golfe de Gascogne

Champs de gorgones, photo par la chercheuse Marie-Noëlle de Casamajor, dans le cadre de travaux menés par l'implantation de l'Ifremer à Anglet.

Interview à Anglet de deux chercheuses de l’Ifremer, Marie-Noëlle de Casamajor et Nathalie Caill-Milly

Entretien par Marjolaine Macaire

Marie-Noëlle de Casamajor et Nathalie Caill-Milly sont deux des quatre agents de l’implantation de l’Ifremer à Anglet, au Pays basque. Marie-Noëlle de Casamajor étudie la biodiversité marine avec une approche habitats et communautés, tandis que Nathalie Caill-Milly est spécialiste des ressources halieutiques exploitées à visée de gestion durable de ces ressources dans leur environnement.

Quelles sont les missions de l’Ifremer au Pays basque ?

Nathalie Caill-Milly. – Nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) et nous avons trois activités principales : l’observation, l’expertise et la recherche.

L’observation prend place dans le cadre de réseaux de surveillance pour l’application des directives européennes : la directive-cadre sur l’eau (DCE) et, la directive-cadre stratégie pour les milieux marins (DCSMM) qui vise à maintenir ou restaurer un bon fonctionnement des écosystèmes marins.

Nous avons une mission d’expertise auprès des services de l’État, auprès du préfet, auprès de la Direction interrégionale de la mer Sud-Atlantique (DIRM SA), du ministère, selon les sujets. Par exemple, nous avons été sollicitées concernant la délocalisation d’une station d’épuration de Saint-Jean-de-Luz, au sujet d’aménagements qui ont un impact sur les ressources et plus largement sur le milieu marin, d’activités de pêche lorsqu’il y a des modifications d’engins de pêche susceptibles d’avoir un effet sur le milieu marin. On relie alors les études d’impact aux projets escomptés.

Concernant la recherche, nous sommes impliquées dans des travaux dont le but est de valider de manière robuste (en publiant dans des revues à comité de lecture) les différentes connaissances manquantes pour améliorer la qualité des réponses aux expertises. Pour ce faire, nous collaborons avec différentes équipes en interne et en externe (universités). En local, nous sommes par ailleurs impliquées dans l’enseignement d’étudiants de l’université de Pau et des Pays de l’Adour (cours, encadrement de projets, évaluations).

Marie-Noëlle de Casamajor au 1er plan et Nathalie Caill-Milly, Ifremer, Anglet.

Quel espace maritime au large du Pays basque est couvert par votre travail ?

Marie-Noëlle de Casamajor. – Nous travaillons principalement sur l’aire marine protégée (AMP) classée Natura 2000 au titre de la directive habitat faune flore (DHFF) « Côte basque rocheuse et extension au large ». Cette zone de côtes rocheuses est identifiée comme une zone d’intérêt.

Qu’est-ce qui fait la particularité des habitats marins sur le littoral basque ?

M.-N. de C. – Les champs de gorgones et les grottes – notamment celles de Saint-Jean-de-Luz qui sont considérées comme remarquables – sont des spécificités du Pays basque. Ces habitats tridimensionnels ont une fonctionnalité écologique et un rôle important dans le développement de la chaîne alimentaire.

Comment se porte le milieu marin du sud du Golfe de Gascogne, la biodiversité s’y épanouit-elle ?

M.-N. de C. – La biodiversité sur la côte basque présente un intérêt particulier en raison de la présence d’espèces à affinité méridionale, mais ce n’est pas le seul critère pour évaluer la qualité du milieu marin. S’il y a beaucoup d’espèces opportunistes, il peut y avoir une biodiversité importante, ce n’est pas signe de bon état écologique pour autant.

On prend plutôt pour référence les groupes fonctionnels au sein des espèces. On considère le niveau trophique ou les rythmes de croissance.

Ces opportunistes sont-elles des espèces invasives ?

M.-N. de C. – On parle d’espèces invasives lorsqu’elles viennent d’ailleurs, comme d’Asie ou d’autres territoires. Tandis que là, il peut s’agir d’espèces locales mais qui prolifèrent dès qu’il y a une perturbation, parce qu’elles trouvent des conditions propices. Par exemple, le développement des algues filamenteuses explose lorsqu’il y a des perturbations.

Pouvez-vous donner d’autres exemples flagrants qui signalent des dysfonctionnements du milieu aquatique au sud du Golfe de Gascogne ?

M.-N. de C. – La diminution des récoltes de l’espèce d’algue rouge emblématique de la côte basque, le Gelidium corneum, qui sert à produire l’agar-agar [gélifiant naturel référencé E406 dans la liste des additifs alimentaires, NDLR]. Les récoltes des navires du département ont été divisées par deux en trois ans, et celles des ramasseurs à terre se sont effondrées.

À ce jour, on ne comprend pas suffisamment les mécanismes qui agissent sur l’état de santé des champs de Gelidium. Les paramètres tels que l’évolution de la température des eaux dans la zone principale de colonisation du Gelidium, les niveaux d’irradiance et les disponibilités en nutriments restent insuffisamment connus. Pour acquérir ces connaissances, la mise en place d’un observatoire local des conditions environnementales est nécessaire.

N. C.-M. – Des observations, dont la cause est attribuée à des modifications des conditions environnementales sous l’effet du changement climatique, sont faites localement. Cela se traduit notamment par l’apparition d’espèces à affinité méridionale comme la Carangue coubali, la Sériole (ou Limon), le Croupia roche…

Il y a aussi le fait que les pêcheurs fassent état depuis une vingtaine d’années de la présence du Liga, signe d’un état environnemental perturbé.

Gelidium, photo Ifremer/MN de Casamajor.

Qu’est-ce que le Liga ?

N. C.-M. – Le Liga est un mucilage marin qui se forme en raison d’un déséquilibre en nutriments dû à des excès de nitrates vis-à-vis des phosphates. À l’origine c’est une réponse biologique du phytoplancton à un changement environnemental qui peut être naturel, ou accentué par des causes extérieures et rendu plus intensif.

Sur la matrice issue de la production phytoplanctonique, des agrégats se forment dans la colonne d’eau et des micro-organismes viennent se fixer. Ces micro-organismes vont se développer avec des communautés dont la composition varie selon la saison. On y trouve la micro-algue toxique Ostreopsis, des larves de cnidaires, des bactéries… C’est la raison pour laquelle le Liga peut être toxique, ou urticant pour les pêcheurs au moment de relever les filets, ainsi que pour les autres usagers de la mer.

En quoi le Liga est-il nuisible pour les espèces marines ?

M.-N. de C. – À force de s’agréger, le Liga finit par couler et se déposer sur le fond. Son mucilage forme une sorte de tapis gluant qui recouvre le benthos, c’est-à-dire l’ensemble des espèces vivant sur le fond marin. Ce tapis a pour effet de limiter, voire d’empêcher, la photosynthèse des algues, de bloquer le système de filtration des organismes filtreurs, tels que les éponges et les hydrozoaires. Ces derniers ont des polypes qu’ils déploient pour s’alimenter, comme c’est le cas du corail.

Il arrive que la houle nettoie les fonds et que des nappes de Liga, de couleur marron, se forment en surface. En revanche, lorsqu’il y a des épisodes de mer très calme, le Liga reste au fond sur les organismes et provoque des mortalités parmi le benthos, des blanchiments sur des algues, et pourrait expliquer certains jaunissements du Gelidium – cela reste à étudier de façon plus précise. Les poissons en pâtissent aussi car le Liga colmate leurs branchies, même si leur mobilité leur permet parfois d’y échapper. Tous ces effets provoquent des déséquilibres dans la chaîne alimentaire jusqu’à concerner les poissons exploités à l’échelle locale.

À l’occasion des 40 ans de l’Ifremer, retrouvez plusieurs articles dans le numéro 138 de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine.

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