Découverte : livres et papiers inédits de la bibliothèque du château d’Oiron exposés à Niort
Par Grégory Vouhé
Responsable des collections patrimoniales de la médiathèque de Niort, Geoffroy Grassin a monté une exposition exemplaire consacrée à l’histoire de l’établissement, à l’occasion de son 250e anniversaire. L’important travail préparatoire a été l’occasion de belles découvertes. Les confiscations révolutionnaires du district de Thouars en sont un bon exemple.
Modèle du genre, le catalogue du dépôt littéraire intitulé Régistre d’invantaire des livres pour rester au district de Thouars consigne références bibliographiques complètes et provenances, conformément aux instructions. Y figure même le type de reliure : « r en v » pour relié en veau. La mention finale « deboiserau » renvoie à Pierre Jacques Fournier, chevalier de Boisairault (1734–1800), qui restaure le château d’Oiron à la suite de son acquisition en 1772, met les intérieurs au goût du jour et aménage une bibliothèque1. Geoffroy Grassin nous dit que l’inventaire recense près d’un millier de volumes provenant d’Oiron, dont 141 pour les Belles-lettres, 374 pour l’histoire, 45 pour le droit, 193 pour les sciences et techniques et 223 pour la théologie.
Le châtelain s’éteint le 15 août 1800 à l’âge de 66 ans. Sa radiation de la liste des émigrés le 29 mai – 9 prairial an VIII – lui avait permis, selon l’arrêté, de rentrer en jouissance de tous ses biens meubles et immeubles non vendus. Sa veuve peut donc formuler une demande de restitution, datée du 18 fructidor an IX (5 septembre 1803). À sa demande adressée au préfet, Geneviève de Ciret de Bron joint le Cathalogue des livres enlevé[s] à la maison d’Oyron […] qui ont été transférés au district de Thoüars et de là à la bibliothèque départementale des Deux Sèvres, où ils sont encore déposés. Le bibliothécaire Frigard renvoie pétition et catalogue au préfet sans faire preuve d’aucune bonne volonté. Il prétend avec légèreté – pour ne pas dire avec mauvaise foi – que « tous les ouvrages qui y sont énoncés ne se trouvent point dans la bibliothèque […] les ouvrages réclamés ne portent ni le nom ni aucune marque de leur ancien propriétaire. Il ne suffit pas de réclamer pour obtenir ; autrement la bibliothèque de l’École centrale, qui est formée d’une partie des livres trouvés chez les émigrés et dans les communautés religieuses, disparoîtroit promptement. » Frigard ajoute que le dépôt des livres a été pillé par les brigands de la Vendée. Ce à quoi madame de Bron répond au préfet que « les livres ont été enlevés d’Oÿron au mois de ventôse an 3 [février 1795]. Thouars fut pris par les vendéens le 5 may 1793. Ce qui prouve qu’ils n’ont point été pillés par eux. » Aussi, madame de Bron renouvelle-t-elle sa demande justifiée par « des pièces que l’on ne pourra récuser puisqu’elles font partie de l’inventaire des livres qui m’ont été enlevés ; les cartes étoient bien plus nombreuses et mentionnois tous les ouvrages que contient mon catalogue, mais elles ont été perdues avec quantité […]. Le petit nombre de livres indiqué par les cartes sera sans doute un faible dédommagement, cependant il me sera infiniment agréable et je vous aurez, monsieur, une bien véritable obligation si vous avez encore la bonté de vous occuper de cette affaire : son succès me fera passer avec plaisir des moments souvent trop longs à la campagne. Une autre obligation que je vous aurez : ce sera de me mettre à même de vous remercier lors de votre voÿage en ce paÿs ».
Le préfet Dupin écrit donc à Frigard en joignant le catalogue et les cartes numérotées à l’appui de l’inventaire des livres. De mauvaise grâce, le bibliothécaire répond que sur les 146 titres, il n’en a retrouvé que 32. Et d’ajouter : « peut-être trouverai-je quelques-uns de ces derniers numéros [manquants] parmi les livres actuellement sous le scellé et non portés sur le catalogue de la bibliothèque, qui a été fini les vacances dernières. Je ne pourrai faire cette recherche que lorsque les scellés seront levés. La plupart de ces numéros doivent se trouver dans le dépôt de Thouars. Je suis bien sûr, par exemple, de n’avoir pas enlevé les numéros 1685 et 1686 que réclame madame de Boisairault. Cette dame ignore sans doute qu’on n’a emporté de Thouars qu’une partie des livres déposés […]. Je suis fâché que les livres qui lui appartenoient n’ayent pas été tous transportés à Niort. Au moins scauroit-elle ce qu’ils sont devenus. Je ne puis cependant affirmer que ceux portés sur le catalogue de la bibliothèque de l’École centrale appartiennent tous à cette dame. Une partie peut provenir de quelqu’autre dépôt. Dans tous les cas ladite bibliothèque feroit une grande perte si elle en étoit privée et l’instruction publique en souffriroit beaucoup. Vous pouvez vous en convaincre par vous-même en jetant les yeux sur le catalogue de madame de Boisairault. Il renferme des ouvrages qui, la plupart, font un excellent fond de bibliothèque » !
Les recherches dans les fonds de la bibliothèque de Niort ont permis de repérer une petite dizaine de volumes (non exposés) portant des ex-libris de la famille de Bron – chevalier de Bron, madame de Bron, Louis de Bron, ainsi qu’une importante liasse de pièces manuscrites relatives au matériel et au service de l’artillerie rédigées dans les années 1757–1784 par un officier du même nom, sans doute le père de la châtelaine d’Oiron, René de Bron, qui était commissaire d’artillerie.
Liste des ouvrages retrouvés par Geoffroy Grassin, où nous avons ajouté le numéro du registre d’inventaire du district de Thouars :
- Les Métamorphoses d’Ovide, avec des explications à la fin de chaque fable. Traduction nouvelle par M. l’abbé de Bellegarde, 1701, avec l’ex-libris de madame de Bron de Bourneau, n° 1704 du registre d’inventaire du district de Thouars.
- Tables pour jetter les bombes avec précision, extraites du bombardier françois, 1731, avec ex-libris « le cher debron », n° 835 du reg.
- Traité du mouvement des eaux et des autres corps fluides. Divisé en V. parties. Par feu M. Mariotte… mis en lumiere par les soins de M. de La Hire, 1686, avec ex-libris « Ch. Debron », n° 1690.
- Les effets de la force et de la contiguïté des corps, 1700, avec ex-libris « Chevalier de Bron », n° 1691.
- Dictionnaire de marine contenant les termes de la navigation et de l’architecture navale avec les règles & proportions qui doivent y être observées. Ouvrage enrichi de figures… Seconde edition, revûe, corrigée & augmentée, 1736, avec ex-libris Chevalier Debron, n° 2019.
- Le livre des pseaumes en vers françois, par Cl. Marot et Th. de Bèze, retouchez par feu M. Conrart, 1677 ; le volume ne figure dans le registre d’inventaire, mais présente un ex-libris de Louis de Bron.
- L’art de parler allemand, nouvellement revu, corrigé et augmenté par le sieur C. LÉOPOLD S, 1728, avec ex-libris du chevalier de Bron, comme ceux qui figurent dans le registre.
- La Science, et la pratique du pilotage, à l’usage des eleves d’hydrographie, dans le college royal de la Compagnie de Jésus, à La Rochelle. Par le P. Yves Valois, 1735 avec ex-libris du chevalier de Bron, comme ceux qui figurent dans le registre du district de Thouars.
C’est l’occasion de signaler le récent don à l’État d’un manuscrit naguère distrait du chartrier d’Oiron ; celui-ci est aujourd’hui conservé aux Archives départementales des Deux-Sèvres, où se trouvent les pièces complémentaires. Le titre est contenu dans un cartouche timbré des armes de Pierre Jacques Fournier de Boisairault et de Geneviève de Ciret de Bron : Atlas | des plans géométriqu[es] | des fiefs et domaine de | haute justice d’Oiron | appartenant à Messire | Pierre Jacques Fournier | Chevallier DeBoisairault | Capitainne au régiment d[…] | commissaire général de la cavalerie | chevallier de l’ordre royal et militair | de saint louis seigneur de la ditte | haute justice terzé landry monpalais | et autre lieux mari de dame louise | geneviève de ciret de bron rédigé | en l’année mil sept cent quatre vingt | deux.
Malgré la date, le cartouche chantourné est encore de style Louis XV, avec notamment un motif rocaille de crête de coq, compte tenu de l’habituel décalage stylistique qui s’observe entre la campagne et la capitale. L’Atlas du chevalier de Boisairault fait en quelque sorte figure d’arrière-petit-cousin de province du très luxueux Recueil des cartes et plans d’Oiron commandé par le duc d’Antin, alors directeur des Bâtiments du roi2.
En comptant une Chronologie manuscrite faite pour le duc Henri de La Trémoille, cinq ouvrages de la médiathèque de Niort viennent par ailleurs de la bibliothèque du château de Thouars, dont les Décades en françois de Tite-Live (1617) portent l’ex-libris. L’Histoire généalogique de la maison d’Auvergne et les Harangues héroïques des hommes illustres portent celui, armorié et gravé sur cuivre, de Marie de la Tour d’Auvergne, duchesse de la Trémoille. Dans son Histoire de Thouars, Hugues Imbert signale un autre exemplaire de ce titre3, entre les mains de madame Martineau, de Thouars, avec une devise de la main de la duchesse : « de vertu bonheur ». Celle-ci se retrouve aussi sur une rarissime édition originale du Cid, datant de 1637, actuellement présentée à Niort. Raison supplémentaire d’aller voir l’exposition à la médiathèque Pierre-Moinot, jusqu’au 6 janvier 2024.
Post-scriptum.
Un livre de chevet de madame de Montespan, provenant de la petite bibliothèque de sa chambre à Oiron, est passé en vente publique en novembre 2022. Il s’agit du tome II des Conférences de Cassien, traduites en François, Charles Savreux, Paris, 1665.
1. « Redistribution insoupçonnées », L’Actualité n° 133, p. 142–143. Sur le manuscrit du préfet, qui écrit que le château d’Oiron a été « extrêmement dégradé pendant la Révolution », voir G. Vouhé, « Parthenay par le baron Dupin en 1810 », Les seigneurs de Parthenay au Moyen Âge, cat. exp. Musée d’art et d’histoire de Parthenay, 2021, p. 204–206.
2. G. Vouhé, Oiron au temps de madame de Montespan et du duc d’Antin, Château d’Oiron – Centre des monuments nationaux, 2015.
3. G. Vouhé, « Du nouveau sur le château de Thouars », Revue Historique du Centre-Ouest, t. VIII, ici p. 84–86 – un autre volume provenant de la bibliothèque du château, aujourd’hui dans les collections de la ville de Thouars, y est signalé.
- « Claude Gouffier bâtisseur » et « Pavement de Chaude Gouffier », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 135, hiver-printemps 2023, p. 174–179.
- « Chambres d’Oiron », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 134, été-automne 2022, p. 112–114.
- « Mariusz Hermanowics. Oiron délabré », « Redistributions insoupçonnées » et « La plus ancienne photo d’Oiron », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 133, hiver-printemps 2022, p. 138–144.
- « La vaisselle d’étain de madame de Montespan », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 130, automne 2020, p. 74–75.
- « Les senteurs de madame de Montespan » et « Senteurs féminines au château d’Oiron », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 129, été 2020, p. 59–61 et 82.
- « Madame de Montespan de monastères en couvents », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 121, été 2018, p. 64–66.
- « De retour à Oiron », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 119, hiver 2018, p. 56–59.
- « Le recueil du duc d’Antin », L’Actualité Poitou-Charentes n° 110, automne 2015, p. 26–29.
- « Tombeaux de marbre des La Trémoïlle et des Gouffier », L’Actualité Poitou-Charentes n° 107, hiver 2015, p. 46–47.
- « Les Métamorphoses au plafond du château d’Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 106, automne 2014, p. 39.
- « Oiron. La chambre du Roi », L’Actualité Poitou-Charentes n° 102, automne 2013, p. 22–25.
- « L’orange cultivée au Grand Siècle », L’Actualité Poitou-Charentes n° 93, juillet-septembre 2011, p. 45.
- « Oiron. Un visage retrouvé », L’Actualité Poitou-Charentes n° 87, janvier-mars 2010, p. 46–47.
- « Oiron. La galerie restaurée », L’Actualité Poitou-Charentes n° 86, octobre-décembre 2009, p.40–41.
- « Madame de Montespan à Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 78, octobre-décembre 2007, p. 40–41.
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