De Violette à Simone… Mon Planning familial
Par Héloïse Morel
C’est en suivant les pas de ma grand-mère maternelle Violette que j’ai poussé la porte du Planning familial de Poitiers en 2013. Ma mère m’a toujours transmis les souvenirs qu’elle avait des réunions qui se déroulaient chez mes grands-parents à Cluny, lorsque le Planning familial s’appelait la Maternité heureuse, lorsque l’avortement et la contraception étaient interdits par la loi 1920. L’histoire de Violette et de ses amies militantes est celle de la clandestinité et du secret. Ma mère se souvient que sa grande sœur prenait la pilule avant la loi Neuwirth et que Violette, prudente, avait expliqué à ma mère qu’elle ne devait surtout pas en parler. C’est donc tout naturellement que lorsque j’ai voulu militer dans une association féministe, c’est vers le Planning que je me suis tournée.
Chemin faisant, suite à de nombreuses heures de permanences, d’animations en milieu scolaire et de formations, j’ai vécu début avril 2016 mon premier congrès. Il s’agissait du 29e congrès du Planning familial et toutes les associations départementales étaient réunies pour discuter des orientations du mouvement. Cet événement a lieu tous les trois ans. Environ 250 militantes et militants étaient réunis dont 140 délégués représentant les 76 associations du mouvement dont celles des DOM : la Réunion, Mayotte et la Guyane – la Guadeloupe et la Martinique n’étant pas des associations départementales du mouvement mais en partenariat avec celui-ci. Au milieu de cette assemblée, Aurélie André et moi-même étions mandatées pour représenter l’association de la Vienne qui fait partie de la fédération régionale Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes composée de dix associations départementales.
Une et indivisible ?
L’expérience de ce congrès m’a fait prendre conscience de la force du mouvement : nous partageons des valeurs communes et pourtant nous avons une grande diversité dans nos pratiques. Chaque année, le Planning reçoit plus de 500 000 personnes par an, hommes et femmes, majeurs et mineurs. Les raisons de venir au Planning sont multiples : questions sur l’avortement, la contraception, les maladies sexuellement transmissibles, problèmes gynécologiques, sexualités, couples, violences, mariages forcés… Les personnes accueillies sont variées et nous sommes formées pour accueillir, écouter et renseigner ces personnes.
À Poitiers, nous sommes confrontées à ces problématiques comme toutes les associations de France et des DOM. Notre écoute est essentielle car ce qui n’est pas perfectible dans la demande des personnes qui viennent à nous, c’est le problème des violences que nous devons identifier et pouvoir verbaliser. Le tabou qui repose sur la sexualité l’est également sur les violences et, pour reprendre les discours des féministes des années 1970, le privé est politique.
L’un des piliers du mouvement, outre le féminisme, est l’éducation populaire. Cette notion nous permet d’interroger notre posture et aussi la place que nous donnons à la parole des personnes qui viennent nous voir. Et bien que nous soyons formées pour accueillir et répondre aux demandes de chacun, nous ne sommes pas des expertes et ne prétendons pas détenir la doxa. Simone Iff, l’une des présidentes du Planning, de 1973 à 1981, a changé le visage du mouvement en virant les médecins qui étaient à sa tête ! C’est pour cette raison qu’à Poitiers, en tant qu’Établissement d’information, de consultation et de conseil familial (EICCF), nous ne voulons pas avoir la même pratique que celle du personnel médical. Nous ne partageons pas les mêmes objectifs que le milieu médical, pour celui-ci il s’agit d’une démarche de santé publique, tandis que pour nous, c’est un objectif politique avec comme volonté l’émancipation et l’empowerment des personnes1.
C’est aussi pour cela que nous ne sommes jamais seules pour accueillir les personnes venant aux permanences, mais toujours au minimum deux, comme durant les animations. Afin de ne pas avoir un discours unique mais aussi pour analyser notre pratique afin de répondre au mieux aux besoins des personnes. Lors de nos permanences, nous accueillons les personnes de façon collective et les invitons à échanger sur ce qui les amène au Planning. Cette manière de faire brise les tabous et très souvent les personnes réalisent qu’elles ne sont pas isolées, que les autres sont également confrontées aux mêmes problématiques. Nous nous formons ensemble, tous les mois, pour analyser notre pratique mais aussi afin de parfaire notre façon d’accueillir et notre écoute. Nous pensons que cette approche est essentielle dans un fonctionnement d’éducation populaire.
Pourtant, malgré nos similitudes, certaines associations départementales s’organisent différemment. Effectivement, peut-on comparer Poitiers et Grenoble ? Il y a 20 bénévoles militantes à Poitiers et c’est un Établissement d’information, de consultation et de conseil familial (EICCF). Tandis qu’à Grenoble, elles sont 60 salariées, environ 40 bénévoles et l’association est à la fois un EICCF et un Centre de planification et d’éducation familiale (CPEF). Les conseillères conjugales sont alors intégrées avec les gynécologues, infirmières et personnel médical du CPEF. Tandis qu’à Poitiers, nous sommes dissociées du CPEF qui est au CHU, bien que nous travaillions ensemble. Les filles de Grenoble pratiquent nettement moins l’accueil collectif (hormis pour les femmes en demande d’avortement), et sont souvent seules face aux personnes qu’elles reçoivent. Il s’agit d’une différence dans l’organisation due aux structures auxquelles nous sommes rattachées. Ceci s’explique aussi par l’histoire du mouvement et les choix qui ont été fait. En effet, Grenoble est la première ville à avoir ouvert, en 1961, un centre d’accueil où étaient délivrés les contraceptifs avant la loi Neuwirth. Ceci explique le retour au lieu historique pour les 60 ans du Planning et le congrès. Grenoble a fait des choix différents de développement par rapport à Poitiers.
Pour un fonctionnement démocratique
Le congrès fut l’occasion d’échanger avec les deux délégués de Corrèze. Leur association départementale est nouvellement créée au milieu du plateau de Millevaches. Amandine et son compagnon David nous expliquent qu’ils ont fait le choix d’avoir un fonctionnement collégial, sans bureau et sans conseil d’administration. «Nous ne voulons pas de responsables car nous le sommes tous ! Ne pas déclarer de bureau pour une association, cela demande un peu de temps auprès de la préfecture mais en Corrèze, ils sont habitués car beaucoup d’associations fonctionnent ainsi !» À Poitiers, bien que nous ayons un bureau, nous sommes également dans un fonctionnement collégial : pas de conseil d’administration ou plutôt toutes les bénévoles en font partie… Nous sommes toutes décisionnaires et force de propositions. Impossible d’adopter une telle souplesse dans les associations qui ont des salariés, puisque les membres du CA deviennent employeurs.
Les débats lors du congrès ont reflétés ces disparités de fonctionnement ainsi que les enjeux propres à chaque association, à chaque région. L’avantage d’avoir des salariées est de pouvoir mener une action plus large, plus étendue sur le territoire ; l’inconvénient étant de devoir se mobiliser afin d’obtenir des financements pour diriger les projets et payer les employés. À Poitiers, nous sommes toutes actives et menons des actions en fonction des disponibilités militantes de chacune. Cela nous permet d’agir plus librement et sans contraintes financières.
Reconnaissons-nous, les femmes, parlons-nous, regardons-nous…
Là où le congrès fait mouvement, c’est lorsque le dimanche, toutes réunies, nous avons voté à l’unanimité les motions d’actualité du Planning. Ainsi, nous faisons front pour prôner un féminisme non excluant, pour défendre les libertés, pour proposer une terre d’accueil aux femmes migrantes, pour défendre l’avortement aujourd’hui menacé dans son accès sur certains territoires, pour accompagner les femmes victimes du Sida et enfin pour assurer une éducation à la sexualité pour tous et toutes. L’ensemble de ces votes affirme la force d’énergie féministe que représente le mouvement. La nouvelle force étant la capacité de transmission intergénérationnelle entre les féministes des années 1970 et la génération des années 1990 qui intègrent le mouvement. Les «vieilles» de Poitiers, comme elles se nomment, laissent la place aux projets (comme la communication Internet) et aux actions aux nouvelles militantes. Le congrès a démontré également cette volonté de transmettre le militantisme et les objectifs du mouvement.
1. L’empowerment est l’octroi de plus de pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques qu’ils subissent.
Le Mouvement français pour le Planning familial s’est réuni du 1er au 3 avril 2016 à Grenoble pour fêter ses 60 ans d’existence. Anciennement appelé Maternité heureuse, le mouvement a ouvert son premier centre d’accueil à Paris et à Grenoble en 1961. Un tram arborant les couleurs du mouvement (rouge et blanc) présentait aux Grenoblois les Simone Forever, trois femmes qui ont illustré le féminisme des années 1960 et 1970 : Simone de Beauvoir, Simone Veil et enfin Simone Iff, présidente du Planning familial de 1973 à 1981 et cofondatrice du MLAC (mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, 1973–1975). «Il y avait une demande énorme, se souviendra Simone Iff, à propos des premiers centres Planning, Paris et Grenoble, il fallait passer de la clandestinité à une structure qui avait pignon sur rue.» La journée d’anniversaire a été l’occasion pour les militantes du Planning de défiler dans les rues à la rencontre des gens afin de faire partager l’histoire et les actions de l’association. L’après-midi, les militantes des différentes associations départementales ont été accueillies par Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, le maire de Grenoble et la rectrice pour écouter et participer à des tables rondes concernant des thèmes chers au Planning : l’avortement, le genre et les droits liés à la santé sexuelle, avant une grande soirée à la mairie réunissant 400 personnes.
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