De la tête aux pieds : l’habillement des combattants français des fronts de l’Atlantique

Automne 1944, un groupe de combattants français pose dans une tranchée sur le front de la pointe de Grave : ce cliché est révélateur de l’habillement hétéroclite des premiers temps, mêlant effets civils, français et allemands, à l’image du casque arboré par l’un des combattant. Crédits : ECPAD

Par Stéphane Weiss

Au cours de la première quinzaine du mois de septembre 1944, les différentes poches allemandes ont pris leur configuration définitive. Pour les volontaires FFI, la transition a été brutale : ils sont passés d’une guérilla mobile à une guerre de positions figée, face à des défenses adverses amplement dotées en artillerie. Le contraste a été accentué par les rudes conditions climatiques d’un automne particulièrement pluvieux. Or, comme l’a écrit le colonel Henri Adeline dès le 20 octobre, «les hommes sont arrivés dans le secteur en tenue de maquis, c’est-à-dire complètement démunis d’effets d’hiver et de chaussures en bon état».

Ce dénuement chronique est d’emblée devenu un marqueur des fronts de l’Atlantique, au point que l’historiographie a relayé l’image d’Épinal de «va-nu-pieds superbes» ou de «soldats en sabots». Tous les effets militaires ont été concernés, ainsi que les menus accessoires du quotidien : vêtements, armes, outils portatifs, musettes, couverts, couchages, casques… Face à des besoins abyssaux, les chefs d’unités puis l’état-major des Forces françaises de l’Ouest ont activé tous les leviers à leur disposition pour trouver des solutions : stocks allemands abandonnés, dépôts de l’ancienne armée d’armistice, biens civils, relance de productions locales ou encore sollicitation des Alliés.

Les archives conservées sont prolixes, décrivant les efforts déployés pour les équipements les plus divers, du linge de corps et des havresacs jusqu’aux gamelles. Deux familles d’accessoires emblématiques permettent de mettre en lumière ces efforts : les casques et les chaussures. Le recours aux casques s’est imposé autant à des fins de protection immédiate que de reconnaissance des FFI comme des combattants officiels, par opposition aux francs-tireurs en tenue civile. De même, au-delà des accents hugoliens de l’expression «va-nu-pieds superbes», il était inconcevable de maintenir des troupes en conditions opérationnelles sans les chausser correctement.

Dénuement initial

Aux premiers jours de septembre 1944, peu de volontaires français disposaient de casques, hormis diverses coiffes sorties de remises et arborées davantage à des fins de prestance que d’utilité : des casques français Adrian modèle 1915 ou 1926, des casques pour tankistes modèle 1935 mais aussi des casques allemands exhibés comme trophées. Les vives interventions de l’artillerie des réduits allemands, à l’image du pilonnage du fort Louvois au Chapus les 13 et 14 septembre, ont imposé la nécessité des casques, bien plus protecteurs que les bérets. 

Portrait d’un guetteur français sur la portion sud du front de La Rochelle. Cet homme, vraisemblablement membre du régiment charentais Bir Hacheim, est doté d’un casque français Adrian modèle 1926, le casque standard de l’armée française en 1939. Crédits : ECPAD.

À l’opposé des têtes et des casques, le terrain humide et la saison ont parallèlement imposé une attention poussée aux chaussures, objets de nombreuses doléances. Jusqu’au cœur de l’hiver, elles ont constitué le maillon faible de l’équipement des combattants français. À titre d’exemple, sur le front rochelais, à la date du 22 janvier 1945, 61 % des 2 210 hommes du 6e régiment d’infanterie charentais étaient toujours en sabots. Devant Royan, à la même période, 31 % des 658 hommes du bataillon Simonot du Tarn étaient encore en sabots ou en espadrilles, tandis qu’au bataillon Bigorre des Hautes-Pyrénées, beaucoup de soldats portaient toujours des chaussures de ville, complètement usées et trouées.

L’enjeu sous-jacent était bien évidemment sanitaire, d’autant que le manque de chaussettes constituait un écueil simultané. Le sujet s’est naturellement invité dans les journaux des unités. Il n’est pas anodin de constater que le premier numéro du bulletin du régiment Foch a consacré une rubrique aux soins des pieds et à la prévention des gelures. Le fait était justifié : les combats de Marans des 15 et 16 janvier ont provoqué l’évacuation d’au moins 46 combattants français pour cause de gelures aux pieds.

Quêtes de solutions

Au sein des régions du Sud-Ouest, des stocks d’effets militaires étaient disponibles : ceux de l’ancienne armée d’armistice. Les états-majors FFI locaux et régionaux y ont puisé sans attendre. En Limousin, un décompte du 22 septembre 1944 indique par exemple l’existence d’un stock de 32 900 casques et 30 500 paires de brodequins, dont 18 900 et 28 500 d’ores et déjà distribués aux unités FFI régionales. Ces stocks, aux volumes variables d’une région à l’autre, ont offert un début de solution. Les combattants des fronts de l’Atlantique n’ont toutefois pas été les seuls à y faire appel : des ponctions conséquentes y ont été opérées dès le mois de septembre au profit des formations FFI ayant rejoint la 1re armée. Une régulation nationale a progressivement été introduite. Dans ce cadre, le ministère de la Guerre s’est montré sensible à la situation des volontaires des fronts de l’Atlantique : ceux-ci ont reçu le quart des effets redistribués au niveau national, soit autant que les FFI de la 1re armée. En particulier, 63 500 casques et 31 000 paires de chaussures ont été alloués pour les combattants des fronts du Sud-Ouest.

Hiver 1944–1945 sur le front du Médoc, trois combattants français posent en position de tir au revers d’un talus. Ils sont chacun dotés d’un casque français mais leurs habits restent encore d’origine civile. L’homme au premier plan dispose de bottes en caoutchouc, les deux autres de brodequins. Le pin au second plan a été doté d’échelons pour servir de poste de guet. Crédits : ECPAD.

Aucune fabrication neuve de casque n’a été enclenchée avant la fin de la guerre. Néanmoins, grâce aux livraisons perçues, les Forces françaises de l’Ouest (FFO) semblent avoir échappé aux solutions de fortune observées dans d’autres régions, telles que le rachat aux civils de casques de 1940, au prix de 50 Francs pièce, pour les FFI de la région lilloise. Concernant les chaussures, la relance de fabrications à Bordeaux, Angoulême, Niort, Bergerac ou encore Toulouse est restée dépendante des approvisionnements en matière premières (cuirs, laine…). À la croisée des productions régionales et des arrivages, l’Historique de la 18e région militaire, publié en 1945, montre des distributions variables d’un mois à l’autre : de l’ordre de 11 000 paires de chaussures distribuées en octobre 1944, 8 000 en novembre, 6 500 en décembre puis une remontée à 11 000 paires en janvier 1945 avant une chute à 4 000 paires en février puis une légère hausse à 7 000 paires en mars.

Les résultats n’ont été que progressifs. Faute de mieux, durant les premiers mois, les casques ont tourné de têtes en têtes, au profit des occupants des premières lignes. Sur les fronts charentais, des casques n’étaient ainsi disponibles en janvier 1945 que pour 42 % de l’effectif gersois et périgourdin de la demi-brigade de l’Armagnac, 36 % de celui du 6e RI et 38 % du 107e RI charentais.

Les résultats du printemps 1945

Concernant les chaussures, les demandes n’ont guère tari au fil des semaines, car l’usure s’est révélée élevée et les livraisons de qualité médiocre. L’entretien posait de plus souci, faute de clous, de fils, d’aiguilles et de cordonniers expérimentés au sein des unités. Cette dimension du problème n’a été solutionnée qu’au sortir de l’hiver. Des ateliers militaires de réparation des chaussures ont été ouverts à Cognac, Angoulême et Saint-Jean‑d’Angély, complétés par le recours à des ateliers civils signalés à Saintes et Bordeaux. Un rapport du 7 mars 1945 signale l’attente de la livraison de trente caisses de cordonniers, à distribuer au sein des unités pour y permettre la création d’ateliers (à raison d’un à deux ateliers par régiment ou groupe de bataillons). Le même rapport indique par ailleurs que les besoins en chaussettes étaient désormais couverts et que ceux en chaussures l’étaient quasiment : tous les hommes étaient chaussés et il ne manquait plus que 10 000 paires pour assurer une dotation de deux paires par homme.

Un groupe du 34e régiment d’infanterie pose sur le front du Médoc, en compagnie d’un chien servant de mascotte. La vue date du printemps 1945 : les hommes ont été équipés de tenues et de casques britanniques, livrés par avion à Cognac au mois de janvier. Crédits : Musée du 34e RI.

Dans les mêmes temps, la question des casques a aussi été résolue : tous les combattants des fronts du Sud-ouest ont pu en être dotés grâce aux stocks français et grâce à la réception d’un lot de 5 500 casques plats britanniques. Le 2 janvier 1945, le War Office britannique a en effet validé la livraison de tenues britanniques, dont des casques, au profit des FFO. Pour les troupes des fronts du Sud-Ouest, l’ensemble a été livré par avions à Cognac entre le 17 et le 20 janvier, dont 9 600 paires de chaussures et 18 000 paires de chaussettes, naturellement bienvenues. Les casques anglais ont été employés, seuls ou en mélange avec d’autres modèles, au sein du 34e RI landais, du régiment mixte marocains-étrangers du front du Médoc, du 114e RI niortais, du 50e et du 158e RI du front de Royan. Le 131e RI, venu en renfort de l’Aube en février 1945, s’est distingué : son équipement a été réalisé à l’aide de casques italiens, dont un stock a curieusement été trouvé à Troyes.

Outre les casques français, britanniques et italiens déjà évoqués, des casques américains ont également fait leur apparition. Les formations venues de la 1re armée et de la 2e division blindée en ont logiquement porté mais aussi le bataillon de fusiliers marins de Rochefort, constitué pour rassembler les éléments de la Marine présents sur les fronts charentais. Le commandement de la Marine a veillé à son équipement, à l’aide de tenues et de casques américains livrés en avril 1945.

Le 22 avril 1945, à Saintes, le général de Gaulle, accompagné du ministre de la Guerre André Diethelm visible à gauche, salue un peloton du 6e régiment d’infanterie, issu du maquis charentais Bir Hacheim. Cette unité a été dotée de tenues britanniques à l’image des casques en forme de «plat à barbe» bien visibles au premier plan. Crédit : ECPAD

Au terme de sept mois d’efforts, à la veille des opérations contre Royan et le Médoc, l’état-major des FFO a considéré que l’ensemble des unités était enfin doté de casques, d’un habillement satisfaisant et du matériel jugé indispensable. Comme l’énonce l’Historique de la direction de l’intendance des FFO, rédigé en 1945, «ce n’était pas parfait, mais c’était décent». Du fait de l’usure quotidienne et des inévitables détériorations intervenues pendant les combats du printemps, la question de l’habillement est néanmoins restée prégnante durant de longs mois. De casques, il en sera par exemple encore question durant l’été 1945 lors du rééquipement de certains anciens régiments des fronts de l’Atlantique, à l’image du 34e RI landais. Cette unité a été intégralement rhabillée avec des stocks allemands trouvés à Saint-Nazaire, comme en atteste un témoignage publié en 1989 par la Fédération des associations d’anciens combattants du front du Médoc :

«Nous fûmes enfin équipés uniformément en marins allemands, tenue complète bleue, havresac, bidon, toile de tente camouflée, fusil, cartouchière, baïonnette, tout sauf le casque qui était français. Nous étions quand même des soldats de la France.»

Docteur en histoire contemporaine et chercheur associé au Centre de recherche interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie (Criham), Stéphane Weiss conduit depuis 2008 une recherche sur les dynamiques régionales du réarmement français de 1944–1945 et de sortie de guerre des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Il a notamment publié en 2019 un ouvrage consacré au quotidien et à la mémoire des combattants français des fronts de l’Atlantique : Les Forces françaises de l’Ouest – Forces françaises oubliées ?, Les Indes savantes, 220 p., 22€.

Cet article fait partie du dossier Les fronts de l’Atlantique.

2 Comments

  1. Bonjour,
    Je m’intéresse à l’histoire du front de l’Atlantique et notamment à celle du groupe-franc marin Armagnac (GFMA) après avoir retrouvé dans des archives familiales à Périgueux des photographies et correspondances de deux de ses membres issus du Corps-franc Libération Gambetta du capitaine de réserve Elie ROUBY.
    Ayant constaté la quasi absence de mention de cette unité du maquis (Dordogne Nord / Haute Vienne)sur les sites internet et publications dédiés à ce thème (à l’exception notable du livre de M. Weiss sur les F.F.O mentionnant le GFMA)et malgré le fait qu’E. ROUBY a été fait compagnon de la Libération en avril 1945 par le général de Gaulle, je souhaiterais entrer en relation avec des historiens chercheurs pour mettre à leur disposition ce fonds d’archives familiales (photos, courriers, propositions de citations et citations individuelles et collectives, notes prises sur place, objets…).
    Elles concernent essentiellement le secteur de Marennes – Poste de La Cayenne – Oléron entre septembre 1944 et mai 1945 et plus particulièrement la 2ème section de la compagnie Rouby (intégrée par la suite au GFMA)qui en octobre 1944 s’est dénommée “section Plazanet” en hommage à l’un de ses hommes FFI périgourdin tombé au combat de La Cayenne le 10 octobre 1944 (nom mentionné sur la stèle de La Cayenne).
    Je vous remercie donc de bien vouloir m’indiquer la voie à suivre pour entrer en relation avec des chercheurs intéressés par ce thème.
    Avec mes remerciements cordiaux.

    • Bonjour,
      Avez vous obtenu une réponse ? Je suis en train de lire le livre qu’à consacré Stéphane Weiss à Elie Rouby, “Elie Rouby, compagnon de la Libération-1940–1940 Opérations clandestines du Limousin à l’ile d’Oléron” La Geste 2023. Comme il n’y a pas de synthèse bibliographique mais seulement des notes de bas de page il est difficile de voir s’il fait référence à votre documentation. Je n’ai pas encore fini la lecture mais votre documentation m’intéresse car ma mère est née à Bussière Galant et que j’écris sur l’histoire locale. Je suis professeur émérite à l’Université de Limoges et je peux facilement aller à Périgueux ou j’ai effectué mon service militaire comme aspirant au 5ème régiment de chasseurs, malheureusement disparu. Vous pouvez me laisser un message par mail ou sur mon blog que je consacre à l’histoire de Nexon. Bien à vous.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.