Les sous-marins s’invitent à Châtellerault

Entretien avec Vincent Roblin, chef du bureau des publics et de la valorisation du CAAPC, par Yoann Frontout-Neuffer
Pour sa deuxième exposition thématique, le Centre des archives de l’armement et du personnel civil de Châtellerault (CAAPC) met en lumière l’histoire méconnue des sous-marins français. À découvrir jusqu’au 19 décembre 2025.
L’Actualité. – Pourquoi une exposition sur les sous-marins à Châtellerault, aussi loin de la mer ?
Vincent Roblin – Créé en 1969 et rattaché au Service historique de la Défense en 2005, le CAAPC est un établissement de conservation d’archives militaires appartenant au ministère des Armées. Installé dans une partie de l’ancienne manufacture d’armes de Châtellerault, on y trouve aujourd’hui les dossiers des personnels civils du ministère des Armées, les archives des unités territoriales et spécialisées de la Gendarmerie nationale, mais également les archives consacrées à la conception, aux essais, à la fabrication et la maintenance de l’armement utilisé par l’armée française depuis le XVIIIe siècle. Et ce, dans le domaine terrestre, aéronautique mais aussi naval. Il y a donc, à Châtellerault, de très nombreux documents concernant la plupart des navires construits pour la Marine nationale depuis le XIXe siècle (plans, photos…). Nous n’avons donc effectivement pas la mer à Châtellerault, mais nous avons des frégates, des porte-avions et des sous-marins, sous forme papier, ce qui est méconnu du grand public !
Nous proposons chaque année une exposition thématique construite à partir de nos fonds, afin de permettre au grand public, qui n’a pas l’habitude ou l’opportunité de consulter des archives en salle de lecture, de découvrir le riche patrimoine documentaire du ministère des Armées (notre exposition de l’an dernier était consacrée à l’année 1944).
En 2025, la France célèbre « l’année de la Mer » et nous commémorerons d’autre part, en 2026, les 400 ans de la Marine nationale, soutenus par le Service historique de la Défense, qui donneront lieu à de nombreuses manifestations dans toute la France. Il nous est donc apparu assez évident de nous intéresser cette année au domaine naval. Nous avons souhaité aborder ce sujet sous l’angle des sous-marins, ces bâtiments mystérieux et invisibles qui exercent une fascination certaine sur le public et qui nourrissent notre imaginaire depuis leur invention, comme en témoignent le succès du roman Vingt mille lieues sous les mers de Jule Verne ou bien de nombreux films de guerre. Cette exposition propose donc une plongée en immersion originale dans une histoire relativement méconnue, à travers des documents d’archives conservés à Châtellerault.
L’exposition déroule une approche historique, tant sur les avancées techniques que le rôle de ces bâtiments de guerre dans les conflits. De quand datent les premiers sous-marins français ? Avez-vous des archives assez anciennes pour documenter les premiers prototypes ?
L’exposition a effectivement pour objectif de raconter l’histoire longue des sous-marins français, depuis les premiers submersibles du XIXe siècle jusqu’à l’ère atomique. Les aspects techniques du fonctionnement des sous-marins, la question de la construction et de l’armement des sous-marins, ainsi que les grandes étapes et les épisodes marquants de l’histoire de la flotte sous-marine française y sont présentés, notamment sa naissance au XIXe siècle. Pénétrer dans le monde sous-marin est un rêve caressé par l’humanité depuis des siècles. Dès le XVIIe siècle, des inventeurs imaginent, sur le papier, des navires capables de se déplacer sous l’eau. En 1800, l’Américain Robert Fulton conçoit un sous-marin en bois à voile, le Nautilus (dont le nom sera repris par Jules Verne) et conduit avec succès des essais de plongée dans la Seine, mais le projet est rejeté par Bonaparte. Les ingénieurs ne se découragent cependant pas et la première moitié du XIXe siècle voit de nombreux projets se développer partout dans le monde, portés par la Révolution industrielle. Révélé lors des guerres de Crimée et de Sécession, le potentiel militaire des sous-marins commence à intéresser la Marine française à partir des années 1850.

Le premier sous-marin expérimental français, le Plongeur, qui fonctionnait à l’air comprimé, est conçu à Rochefort en 1863 par l’ingénieur Charles Brun, et le capitaine de vaisseau Bourgeois. En 1867, Jules Verne verra d’ailleurs une maquette de ce sous-marin lors de l’exposition universelle de Paris et s’en inspirera pour imaginer son Nautilus. Nous présentons dans l’exposition quelques documents d’archives originaux concernant le Plongeur, mais également des documents en lien avec les bâtiments ayant marqué l’histoire sous-marine française, comme le Gymnote, conçu à Toulon en 1888, ou encore le Narval mis au point à Cherbourg en 1899, qui constituent les premiers bâtiments sous-marins opérationnels de la Marine nationale. Le plus ancien document exposé est une publicité pour un projet de « bateau sous-marin » présenté lors de l’exposition des produits de l’industrie française de 1849.
Les plans, photos, descriptifs des modèles récents étant certainement classés secret défense, jusqu’où documentez-vous l’évolution des sous-marins français dans l’exposition ?
Quelle que soit leur époque de construction, les sous-marins ont toujours été à la pointe de l’innovation technique et technologique. La Marine nationale a donc toujours été soucieuse de protéger les informations stratégiques entourant la conception et le fonctionnement de ces bâtiments qui jouent, comme on le sait, un rôle important dans la défense de notre pays et de nos intérêts dans le monde entier. Les archives concernant les sous-marins sont la plupart du temps classifiées, c’est-à-dire qu’elles sont protégées au titre du secret de la Défense nationale, qui les rend incommunicables pendant 50 ans. Ces délais sont fixés par le code du Patrimoine, qui encadre les règles de communicabilité des archives publiques en France. La communicabilité des archives relatives à l’armement nucléaire est encore plus restrictive, comme on peut s’en douter, car ces documents sont incommunicables sans délai. On ne trouvera donc dans cette exposition que des documents communicables. Les sous-marins de construction récente seront évoqués brièvement, sans entrer dans le détail de leur conception, à travers quelques photographies et des plans diffusés pour la communication. Passé le délai de 50 ans, les archives classifiées peuvent être librement consultées par le public, sur demande, en salle de lecture. Elles peuvent donc aussi être exposées, ce qui explique pourquoi les visiteurs pourront découvrir, dans l’exposition, de nombreux documents portant le cachet « Secret », datés de plus de 50 ans (c’est-à-dire jusqu’en 1974).

Y a‑t-il des archives inédites, particulièrement remarquables, que vous présentez pour la première fois au public ?
L’exposition a été construite principalement à partir d’archives conservées à Châtellerault. Quelques documents ont été prêtés par d’autres centres du SHD (Brest, Rochefort et Vincennes), pour compléter et enrichir le contenu de l’exposition. Plus d’une centaine de documents y seront présentés, dont de très nombreux originaux (les autres étant reproduits sur les panneaux d’exposition). Ces documents (atlas, plans, photographies, correspondance, télégrammes, affiches, journaux, brochures techniques, rapports…) sont la plupart inédits et emblématiques de l’histoire des sous-marins. Les visiteurs pourront notamment voir des documents originaux concernant les premiers sous-marins, comme le Plongeur ou le Narval, ou des documents concernant les sous-marins célèbres de la flotte française, notamment ceux de la Seconde Guerre mondiale (comme le Casabianca ou le Surcouf). Le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engin français, le Redoutable, est mis à l’honneur, à travers différents documents, dont la décision officielle de mise en chantier, signée de la main du ministre des Armées Pierre Mesmer (1963). Nous évoquons également la question des accidents et des naufrages à travers des photos, des télégrammes et des rapports. Une liste de victimes du naufrage du Prométhée (1932), signée de la main de l’amiral François Darlan, grande figure de la collaboration, compte parmi les documents présentés. Une galerie chronologique de 19 photographies de sous-marins, de la Dorade (mis en service en 1905) au Suffren (mis en service en 2020) permettra de voir l’évolution de la flotte sous-marine à travers le temps.
Présentez-vous également des objets ayant trait au quotidien des sous-mariniers ?
Pour enrichir le contenu de l’exposition et appuyer les documents présentés, il nous est apparu effectivement intéressant de montrer des objets en lien avec les sous-marins. Notre établissement ne conservant que des archives, nous avons emprunté quelques objets, en particulier au Musée de l’escadrille des sous-marins de l’Atlantique (Lorient), à l’espace tradition de la Force océanique stratégique (Brest) et à la division de la symbolique du Service historique de la Défense (Vincennes). Les visiteurs pourront notamment voir des objets symboliques et des insignes, une lumière rouge d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engin (SNLE), des bonnets de sous-marinier ou encore la cloche du SNLE Le Redoutable. Une occasion rare à Châtellerault !

Avez-vous prévu dans ou autour de l’exposition des témoignages de sous-mariniers ?
La vie quotidienne à bord des sous-marins depuis les origines jusqu’à nos jours sera évoquée dans l’exposition à travers un panneau et quelques documents. Nous proposerons également le samedi 8 novembre 2025, à 14h30, en marge de l’exposition, une conférence publique (sur réservation) animée par le vice-amiral d’escadre Jean-Philippe Chaineau, ancien commandant de sous-marin nucléaire, qui a terminé sa carrière en 2022 comme commandant des forces sous-marines et qui viendra nous parler de ses 25 000 heures de plongée et de son expérience de sous-marinier. Je signale aussi que nous proposerons une autre conférence, le jeudi 9 octobre 2025, à 18h00, animée par le contre-amiral François Guichard sur l’histoire des premiers sous-marins français, intitulée : « Du sous-marin qui inspira Jules Verne aux premiers navires opérationnels ».

Une exposition à découvrir jusqu’au vendredi 19 décembre 2025
Ouverte du lundi au jeudi de 9h00 à 12h00 et de 13h30 à 17h00
et le vendredi de 9h00 à 12h00.
Ouverture exceptionnelle le dimanche 21 septembre, de 14h00 à 18h00.
L’exposition étant présentée dans une emprise militaire, l’accès, gratuit,
se fait uniquement sur réservation et sur présentation d’une pièce d’identité.