Archéologie – Carnet de route en Éthiopie

Projet Horn East, prospections sur les hauts plateaux éthiopiens.

Par Élise Mercier

Depuis 2018, l’équipe de l’ERC Horn East mène des prospections dans la région du Tigré, afin de rechercher des stèles funéraires musulmanes et de repérer des cimetières musulmans. C’est auprès de Julien, Simon, Amelie, Deresse, Hiluf et les autres que j’ai vécue l’expérience la plus marquante de ma vie – participer à une mission archéologique en Éthiopie. 

Sept heures, c’est le temps qu’il me faut pour arriver à Addis-Abeba depuis Paris. Trouver son chemin dans l’aéroport n’est pas simple. Les panneaux indiquent des directions dans une langue que je ne peux pas lire car l’alphabet ressemble à des petits graffitis. Le voyage n’est pas fini puisqu’il faut ensuite monter dans un bombardier De Havilland Cash 8Q tout droit sorti des années 1940, afin d’atterrir sur le tarmac de Mekelé, dans la région du Tigré, sur les hauts-plateaux éthiopiens à 2 250 mètres d’altitude. Mon arrivée ne passe pas inaperçue, les locaux s’interpellent de la présence d’une Occidentale seule, ce qui est plutôt inhabituel. Une fois les bagages récupérés sur un tapis grinçant, dans un bruit de ferraille, je rejoins la sortie de l’aéroport où je suis accueillie chaleureusement par l’équipe déjà sur place. 

Le premier défi est d’adapter son corps à l’environnement : la chaleur et l’altitude peuvent occasionner essoufflement, cauchemars et un léger état nauséeux. À mon arrivée, le climat est chaud et sec. L’Éthiopie est un pays tropical avec une saison sèche de janvier à mai. La température moyenne est d’environ 25 °C, mais elle peut atteindre jusqu’à 30 °C en été. Une fois cette étape passée, il s’agit de s’adapter à un environnement très dynamique, souvent bruyant car jamais rien ne s’arrête à Mekelé. C’est une région historiquement chrétienne, l’orthodoxie y a joué un rôle important. Les églises y sont très présentes, très actives et diffusent régulièrement des messages de paix et de bonne conduite dans leurs haut-parleurs. Les journées sont rythmées par de nombreuses processions, par des sacrifices et des prières où toute la communauté se réunit. Les ouvriers ne travaillent pas la terre et il est prohibé de manger de la viande, mais les locaux ne vous en tiendront pas rigueur si vous relevez le challenge de manger l’ingéra, cette grande crêpe fermentée à base de teff, essentiellement avec la main droite. La cérémonie du café est également un événement social important où le café est torréfié, moulu et infusé devant les invités. 

Le dialecte et les expressions locales sont d’autres aspects essentiels de l’adaptation sur place. L’amharique est la langue officielle de l’Éthiopie, mais il en existe plus de 80 autres parlées dans le pays, dont le tigrinya, majoritairement parlé au Tigré. Bien qu’il soit complexe d’apprendre une langue en si peu de temps, connaître quelques mots est toujours bienvenu. C’est un signe de respect envers la communauté qui vous accueille et contribue grandement à établir des relations ainsi qu’à montrer son appréciation de la culture locale.

Avoir une attitude respectueuse et une ouverture d’esprit est crucial pour s’adapter. Il est essentiel d’être conscient des différences culturelles, d’éviter de faire des suppositions ou d’imposer ses croyances. L’Éthiopie a une histoire longue et complexe, avec la coexistence de divers groupes ethniques et religions dictée par des règles dont certaines sont construites sur des valeurs morales. 

Au-delà des difficultés principales, il faut être capable de faire face aux situations imprévues, comme les vols et les pertes de matériel. Le vol de mon téléphone a suscité beaucoup d’agitations parmi les ouvriers. Au-delà de la perte d’un objet onéreux, se dégage un acte inqualifiable : le vol. Il est sévèrement puni et prend une grande importance dans une communauté chrétienne orthodoxe. C’est aussi se confronter au système judiciaire et administratif du pays. À l’exemple du vol de mon téléphone dès les premiers jours, je me suis vue parcourir les commissariats de Mekelé afin d’obtenir un document qui me permettra, dès mon retour de contacter mon assurance. Je découvre ainsi, sur le procès-verbal, qu’en Éthiopie nous ne sommes pas en décembre 2019 mais bien en novembre 2012. Effectivement, ce pays utilise le calendrier Julien, soit un décalage de huit ans avec la France. 

Les enjeux de la mission pour les locaux et les chercheurs

La mission vise à découvrir le riche patrimoine culturel de l’Éthiopie et à révéler l’existence de communautés musulmanes médiévales florissantes, connectées au reste du monde islamique. L’objectif était de prospecter et d’ouvrir un secteur de fouille archéologique à l’aplomb du cimetière moderne de l’église de Qwiha, repéré lors des premières opérations de l’équipe. La mission est pluridisciplinaire, impliquant histoire, archéologie et épigraphie.

Pour mener à bien une telle expédition, il est important de se préparer psychologiquement et matériellement. Il ne s’agit pas d’imposer sa présence, mais de s’adapter à un nouvel environnement. Vous ne verrez peut-être la vie des chercheurs pendant leur mission à l’étranger que sous forme de « carnet de fouille » ou d’interview, mais le voyage fascine généralement bien au-delà de l’histoire. C’est une véritable expérience de vie, une parenthèse immersive dans une culture inconnue. Un dépaysement provoquant souvent un questionnement et des mises en perspective incessantes avec notre propre culture. Tout n’aura pas forcément de sens pour nous, mais c’est ainsi. Il s’agit d’accepter et d’observer. Il est crucial de comprendre les coutumes et les traditions, ce que nous réalisons en nous engageant quotidiennement avec les collègues éthiopiens et les ouvriers qui travaillent sur le chantier archéologique. Le tout est construit sur les échanges.

Ces missions à l’étranger permettent à de nombreux étudiants éthiopiens de participer à des chantiers de fouille archéologique. C’est un échange de savoirs et de méthodes constant entre les archéologues, les historiens de différentes nationalités et les étudiants. 

Projet Horn East. Ouvriers et étudiants travaillant sur le chantier.

Il s’agit de les initier aux relevés architecturaux et sédimentaires, d’expliquer les méthodes d’enregistrement des données et d’utiliser le matériel à disposition comme la lunette de chantier, ou tout simplement les outils de l’archéologue. Ils ont été initiés à toute la chaîne opératoire de la fouille archéologique, de la manipulation des outils jusqu’à l’enregistrement. Les échanges se sont toujours faits dans la bonne humeur, et lorsque notre présence est admise, des liens fascinants se créent entre les participants. L’échange est d’autant plus riche pendant les pauses, autour d’un café à la saveur complètement inédite, ou d’un thé à la saveur épicée incomparable. Assis dans les cailloux, nous partageons ces quelques minutes de calme pour écouter, observer, et s’émerveiller à coup de : « Comment est-ce que l’on vit chez toi ? »

Le chantier participe également à l’économie locale car, pour le mener à bien, des ouvriers locaux sont recrutés pour la fouille. Des hommes de tout âge nous ont rejoints, car le salaire est plutôt élevé au vu des conditions de vie sur place. Une vingtaine de places sont disponibles dont chacune représente une somme d’argent non négligeable pour l’année à venir, et nous recherchons des ouvriers déterminés. Notre contact sur place est chargé du recrutement. Ces hommes sont principalement agriculteurs.

Participer à l’économie, c’est aussi consommer local. Bien que la tendance à reproduire des plats occidentaux se fait un peu partout dans le monde, il a été naturel pour l’équipe de se restaurer dans des petits restaurants proposant exclusivement des plats de la région. 

S’adapter dans un pays où l’instabilité peut se fait sentir

Les déplacements en voiture sont parfois stressants. Le taux de mortalité sur les routes d’Éthiopie est très élevé. En constatant l’état des routes, ce n’est pas vraiment une surprise. Peu d’entre elles sont goudronnées, nombreuses sont les pistes que nous avions dû emprunter pour les prospections dans les montagnes. Les camions roulent à vive allure entre les tuk tuks, les taxis collectifs et les transports de charrette tirée par des ânes. L’ensemble peut paraître chaotique, mais fonctionne plutôt bien.

Il arrive parfois que le « mauvais œil » nous tombe dessus. Un matin, l’une des zones de fouille située dans un jardin privé est devenue inaccessible, porte close. Au ton employé par la propriétaire (une femme âgée), nos collègues éthiopiens négocient, courbent un peu le dos, et demandent pourquoi. Elle nous reproche d’avoir fait entrer chez elle le « mauvais œil », ce qui aurait entraîné la perte de l’une de ses bêtes. Pour la première fois depuis le début de la mission, nous ne sommes plus les bienvenus. La situation est délicate, la tension se fait sentir. Mais nous serons autorisés à revenir quelques jours afin de finir l’enregistrement des données et de reboucher la zone. 

Pourtant, pas une seule fois, nous nous sommes sentis en danger. Mais un tel voyage nécessite bien des mesures qui ont été prises en amont par les fonctionnaires de sécurité de défense (FSD) du CNRS : l’évaluation de la situation sur place. À ce moment, l’Éthiopie semblait entrer dans une période d’accalmie avec l’Érythrée. C’est d’ailleurs lors de notre séjour que le prix Nobel de la paix a été décerné au Premier ministre éthiopien. Document que nous avons eu la chance d’admirer à Addis-Abeba en décembre. 

Pourtant, l’ambiance sur les lieux laisse présager d’une stabilité fragile au cœur même du pays. L’armée contrôlant la route principale que nous empruntons quotidiennement pour aller de Mekelé à Qwiha, le contrôle des papiers d’identité et des passeports est obligatoire. De brefs moments d’échanges nous permettaient parfois de passer plus rapidement, mais il est indéniable qu’un lourd silence s’installait lors de ces arrêts. L’ancien gouvernement majoritairement tigréen avait laissé place à la gouvernance d’un homme d’une autre région, et les conflits inter-ethniques sont au cœur même d’une grande discorde dans le pays. L’annonce officielle de la guerre en novembre 2020 viendra enflammer l’Éthiopie déjà traversée par une crise alimentaire. Plus de la moitié de la population du Tigré souffre d’une insécurité alimentaire sévère, tandis que la majorité n’a pas un accès régulier à la nourriture. La situation a été exacerbée par ce conflit de deux ans, précédé par une invasion de criquets qui détruisaient déjà les cultures lors de notre passage en 2019. 

De toute évidence, l’accès au terrain a été impossible lors de cette période de guerre. La priorité n’était plus à l’étude, il s’agissait plutôt d’aider ceux que nous connaissions avec le peu de moyens dont la mission disposait encore. Le projet de faire venir des étudiants en tant que réfugiés de guerre est souvent abordé lors de tels conflits, mais la région du Tigré a été plongé dans une très longue période d’isolement total, où tout moyen de communication avec le monde extérieur était impossible. Aujourd’hui, un accord de paix maintient un équilibre très fragile. Les prochaines missions archéologiques envisagées par le projet Horn East ne sont pas prévues avant 2024, mais les missions d’approches et de prospections sont programmées pour 2023. Le fragile fil de l’histoire reprend petit à petit son chemin, laissant au-dessus des locaux et des chercheurs l’ombre d’une nouvelle rupture encore beaucoup trop proche. 

Projet Horn East, église éthiopienne en construction au Tigré. Visité lors d’une prospection dans le nord de la région.

Bibliographie 

Amelie Chekroun et Nicolas Baker, Les stèles perdues d’Ethiopie, Journal du CNRS : https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-steles-perdues-dethiopie consulté le 29/03/2023. 

Julien Loiseau et Amelie Chekroun, Ces stèles qui bouleversent l’histoire de l’Éthiopie, Journal du CNRS : https://lejournal.cnrs.fr/videos/ces-steles-qui-bouleversent-lhistoire-de-lethiopie consulté le 29/03/2023. 

Simon Dorso, Le site de Kwiha (Tigray, Éthiopie) de la période aksoumite au XVIe siècle : premier bilan des fouilles et recherches en cours, Séminaire Monuments et documents de l’Afrique ancienne : recherches en cours en histoire, histoire de l’art et archéologie, 2022. 

Julien Loiseau et al., Bilet and the wider world: New insights into the archaeology of Islam in Tigray. Antiquity, 95(380), Cambridge, 2021, pp. 508–529. 

Élise Mercier est en thèse d’archéologie sous la direction de Yves Gleize et Vincent Michel : Les inhumations dans les lieux de culture chrétien en Palestine, de l’antiquité tardive à l’époque des croisés. Etude diachronique des différents aspects architecturaux, religieux et sociaux d’une pratique funéraire tolérée et privilégiée dans les églises.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’une formation doctorale sur l’écriture journalistique avec l’École doctorale Humanités de l’Université de Poitiers.

1 Comments

  1. Reportage très i’nterressant ! Pour moi qui ne voyage pas je suis heureuse d’apprendre des choses importantes et les différentes cultures de ces pays pour moi inconnus. Merci beaucoup et bonne continuation.

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