Sur les traces de nos ancêtres gaulois
Par Bastien Florenty
Dans les Deux-Sèvres, à Bessines près de Niort, une fouille de 7 000 m² menée par une équipe de l’Inrap dirigée par Patrick Maguer, a permis d’étudier un sanctuaire gaulois entre septembre et décembre 2008. En activité entre la fin du ive siècle et le début du ier siècle avant notre ère, le site apporte un nouveau témoignage sur les pratiques cultuelles gauloises.
L’archéologie a rarement l’occasion d’aborder la question des lieux de culte de cette période, d’autant que, souvent réoccupés et transformés à la période romaine, nombre de sanctuaires de la fin de l’âge du Fer ont été plus ou moins détruits par ces aménagements postérieurs. À Bessines, toute activité religieuse cesse avant la conquête romaine, préservant ainsi le sanctuaire dans son état initial. Il contribue de ce fait à l’enrichissement de nos connaissances sur les pratiques religieuses de la fin de l’âge du Fer dans l’ouest de la Gaule.
L’équipe de l’Inrap, composée d’une dizaine d’archéologues, dont un anthropologue et un archéozoologue, permettent ainsi de nous plonger dans l’histoire, à la fois étonnante et fascinante de notre territoire.
Un fossé profond de 1,4 m et large de 2,8 m délimite un sanctuaire trapézoïdal de 700 m². «Nous sommes en présence d’un sanctuaire rural, ce qui est intéressant, car les quelques sanctuaires fouillés ces dernières années sont souvent liés à des agglomérations», précise Patrick Maguer. L’entrée du sanctuaire est orientée au sud-est, ce qui est la norme dans l’ouest de la Gaule. «Nous avons retrouvé les éléments d’une cotte de maille – qui est une invention gauloise – et de nombreux objets du quotidien, de l’outillage, des couteaux, une broche à cuire, des éléments de parure, un dé en os à jouer ou de divination, plus de 160 kg d’ossements animaux, mais aussi 140 kg de vaisselle en céramique.» Les restes d’animaux proviennent de porcs, de bœufs, d’ovicapridés, de chevaux et de chiens. Ils témoignent d’abattages massifs en lien avec les pratiques religieuses. «Le public n’assiste probablement pas aux cérémonies se déroulant dans l’enceinte sacrée du sanctuaire réservée aux initiés, mais participe aux banquets durant lesquels sont consommés les animaux sacrifiés», ajoute l’archéologue. Lieu de culte, le sanctuaire est sans doute aussi un site d’observation des signes astronomiques et probablement un espace à vocation judiciaire. Treize fragments d’os humains, appartenant à au moins trois individus adultes, ont d’ailleurs été retrouvés. «Nous avons identifié sur ces os des manipulations post-mortem, comme en témoignent les stries de découpe observées sur un fragment de tibia, vraisemblablement liées à un rituel religieux. Nous savons que ces ossements sont déposés frais dans le fossé car nous avons des traces de rognage, or les chiens n’attaquent que les os frais.» Il peut s’agir de guerriers vaincus, ou bien de condamnés judiciaires, mais d’autres hypothèses sont à envisager.
L’entrée du sanctuaire est délimitée par une ouverture large de 90 cm, où de part et d’autre était exposé un trophée militaire, composé d’un umbo de bouclier, d’une épée, de deux fourreaux d’épée, d’une chaîne de suspension d’épée. «Nous avons retrouvé deux ensembles de trous de poteau au sein du sanctuaire, attestant la présence d’au moins deux bâtiments. Le premier, de forme carrée, pourrait avoir une fonction religieuse. Le second, de forme plus étroite et allongée, pourrait correspondre à une stabulation pour les animaux destinés au sacrifice.»
Le site est implanté au sud-est de l’ancien golfe des Pictons (l’actuel Marais poitevin), le long d’un axe routier permettant de contourner le golfe par l’est. L’endroit est certainement stratégique pour l’époque et explique probablement la présence de ce sanctuaire. «Contrairement aux sanctuaires d’agglomération, celui de Bessines n’était sans doute fréquenté qu’au cours de certaines grandes fêtes religieuses dirigées par la classe sacerdotale composée de druides, de bardes et de vates.»
«Si Strabon évoque l’existence de prêtresses vivant sur une île à l’embouchure de la Loire, les druides sont essentiellement des hommes, sans doute plutôt issus de familles aristocratiques, même s’ils peuvent choisir des apprentis parmi le peuple», détaille Patrick Maguer.
En plus de la connaissance de la religion, ils s’adonnent à un apprentissage spécifique et particulièrement long : «L’éducation religieuse est uniquement orale, l’écriture étant proscrite dans ce domaine. Ils doivent apprendre les textes par cœur et les transmettre ensuite à leurs élèves. Durant leur formation, ils doivent également acquérir des connaissances en philosophie, en mathématique, en botanique ou encore en astronomie. Pour cette raison, celle-ci peut durer une vingtaine d’années.» Ainsi, seuls quelques initiés ont accès au savoir.
Hormis les druides, les vates et les bardes sont aussi des religieux, mais hiérarchiquement moins importants que les druides. Les bardes sont des panégyristes et des poètes. Ils ont notamment la charge de la mémoire des élites aristocratiques et accompagnent les sacrifices en musique. Les vates s’occupent des cérémonies religieuses, ils sacrifient et interprètent les signes. Les religieux, particulièrement les druides, occupent une place prépondérante dans la société gauloise. Selon César, ils prennent part aux décisions importantes, règlent les conflits entre États ou entre particuliers. «Ils rendent la justice sous autorité divine, ce qui peut expliquer la présence d’ossements humains dans les sanctuaires», indique Patrick Maguer.
Dans les Deux-Sèvres, la fouille du sanctuaire de Grand-Champ-Est apporte ainsi un témoignage inédit sur les pratiques religieuses gauloises. À travers ces vestiges archéologiques et les restes qui y sont déposés, c’est la société gauloise qui se dessine avec ses paysans, ses artisans, ses guerriers et ses prêtres.
Patrick Maguer, Trophée guerrier à la porte du sanctuaire : le cas de l’enclos celtique de Grand-Champ-Est à Bessines (Deux-Sèvres), in Lemaître S., Batigne-Vallet C. (dir.), Abécédaire pour un archéologue Lyonnais. Mélanges offerts à Armand Desbat, Montagnac, Monique Mergoil, (coll. Archéologie et Histoire Romaine, 30), 2015.
Maguer P., Brunie D., Ferrié J.-G., Landreau G., Lemaître S., Les sanctuaires de plein air en Centre Ouest (VIe siècle/Ier siècle av. J.-C.), in Barral P., Thivet M. (dir.), Sanctuaires de l’âge du Fer. Actes du 41e colloque international de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer (Dole, 25–28 mai 2017), AFEAF (coll. 1), p. 199‑220, 2019.
Laisser un commentaire