Pierre D’Ovidio, sortie de route
Par Jean-Luc Terradillos
Pierre D’Ovidio est face aux carrières du Breuil, à Chauvigny. Il s’interroge sur un raccourci spatio-temporel : creusées dans un calcaire oolithique d’au moins 166 millions d’années, ces carrières gardent la trace d’une mémoire ouvrière, en particulier celle d’un 1er mai 1932 fêté par des anarcho-syndicalistes. La photo de Claude Pauquet est publiée dans l’édition du printemps 2019 de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, où ils ont créé la chronique «Routes» en 2006. On ne savait pas que ce serait l’une des dernières images de l’écrivain, vaincu par la maladie le dernier week-end de mars.
Notre première rencontre avec Pierre D’Ovidio, ce fut après la lecture de son livre, Demain c’est dimanche (2001), sorte de polar pas vraiment noir, teinté de Henri Calet et de Robert Doisneau – celui de Saint-Sauvant qui fut hébergé par une famille de paysans pendant la guerre. Il invente Jean Mascarpone, correspondant local de La République Nouvelle, qui se prend pour un fin limier… du dimanche. Ce roman forme une trilogie poitevine avec Pertes et profits (2002) et Les Cahiers au feu (2004).
Ce qui est immédiatement détectable dans ce roman, c’est son sens de l’observation. Il note des détails et des mots qui ne sont pas donnés au premier venu. Par exemple le bousillis, mélange de terre et de paille dont on faisait les plafonds au XIXe siècle, qui dégage une poussière très fine et sèche, étouffante, pénétrante jusque dans les moindres replis dès qu’on commence à y toucher. Ou la bernache qu’il déguste dans la cave d’un voisin qui barre sa maison quand il s’absente. Il y a quelque chose de bonnard dans ce Mascarpone, qui lui ressemble.
Nommé prof d’histoire au collège de Dangé-Saint-Romain, Pierre D’Ovidio s’est installé à Saint-Rémy-sur-Creuse en 1997. Autant dire au milieu de nulle part pour qui est né à Paris en 1949. Finie la vie parisienne, ici on respire un autre air. Un fumet de bouse de vache et de champignons, entre autres. Bon vivant, avide de découvrir les mœurs locales, aimant causer de tout et de rien, sans jamais être dupe ni perdre le nord. Attention sens critique affûté ! Mine de rien, il fait mouche.
«C’est fou ce que je peux rencontrer de chasseurs amoureux de la nature. En fait, je ne rencontre que des porteurs de fusils dont le canon cassé repose sur le coude et qui s’émerveillent à l’automne devant le spectacle sublime des aurores aux roses multiples et magnifiques. Je m’étonne même de croiser encore des Rambos rubiconds qui défouraillent sur tout ce qui bouge, collègues et chiens compris. Ils doivent sûrement venir de contrées très éloignées, encore non contaminées par l’écologie, indemnes de la poésie champêtre et de son influence délétère.» (Demain c’est dimanche, p. 57)
«Cher petit martyr», c’est le premier texte de Pierre D’Ovidio que nous avons publié dans L’Actualité (spécial Écrivains n° 53, 2001). Dans le cimetière de son village, il avait repéré la tombe d’un jeune homme tué le 16 août 1944 qui s’avéra être celle d’un collabo. Matériau d’un roman à venir. En effet, il s’intéressait aux histoires troubles et aux troubles de l’histoire. Il avait des opinions tranchées mais il savait que personne n’est jamais tout noir ou tout blanc. C’est dans la grisaille des individus qu’il inventait des récits, dans les zones de flou et de demi-teintes. D’où son intérêt pour tout ce que tourne autour de la Seconde Guerre mondiale, ce qui donnera des romans historiques publiés à partir de 2011 chez 10–18, dans la collection «Grands détectives», sur le Paris de l’après-guerre (L’Ingratitude des fils, Le Choix des désordres), et aux Presses de la cité (Étrange sabotage).
En 2000 et 2001, Dominique Moncond’huy, professeur à l’université de Poitiers et responsable de l’action culturelle, avait réuni Pierre D’Ovidio et deux photographes, Marc Deneyer et Claude Pauquet, pour une déambulation sur le campus universitaire de Poitiers suivie d’une exposition à la médiathèque et d’un livre édité par Le temps qu’il fait : Deux saisons à Poitiers. Mais c’est dans une exposition de Claude Pauquet sur les côtes de de l’Atlantique et de la Manche, entre Hendaye et Bray-Dunes (Au bout des Certains), que l’idée de la chronique «Routes» s’est imposée comme une évidence.
La triste banalité du littoral balnéaire mise au jour dans les photographies de Claude Pauquet eut sur nous un effet stimulant, au point d’imaginer toutes sortes d’histoires, sordides et drôles à la fois. Hilarante découverte. Ses images appellent la fiction. En parfait accord avec Pierre D’Ovidio qui avait envie de baguenauder sur les chemins de traverse de la région. Quoi de mieux que d’avoir un but ? Une chronique dans L’Actualité. Ainsi, c’est une autre façon d’écrire, de faire sautiller la langue qui est entrée dans la revue. C’est important car les écrivains font vivre la langue.
Où nous ont menés ces «Routes» ? Au Yo Dom, café de Dangé-Saint-Romain (n° 71, janvier 2006), devant un calvaire coincé entre deux poteaux électriques en rase campagne des Ormes (n° 72), dans la minuscule chapelle de Jouhet sur la D5 entre Montmorillon et Saint-Savin (n° 73), au monument aux morts de Port-de-Piles (n° 74)…
Cette chronique aurait plus s’appeler «chemins de traverse», «territoire» ou «humanité», car il s’agit toujours d’aller dans un ailleurs proche. Dans des lieux où l’on ne s’arrête jamais, dont on soupçonne l’existence si l’on est attentif aux panneaux de signalisation. Cela semble désolé, en pleine «déprise», évidemment pas à la mode, et pourtant il y a âme qui vive ! On y rencontre nos frères humains qui, parfois, ont de drôles de têtes (de mule) mais le plus souvent le cœur sur la main.
Connaissant son appétit pour les curiosités de la nature humaine et les mauvais penchants de certains, nous l’alimentions en faits divers bien tordus glanés dans la presse régionale. Ainsi le procès d’un crime, accompagné d’un rite particulièrement retors, fut le point de départ de son dernier roman publié, chez Jigal en 2016 : La Tête à l’anglaise.
Les archives de la rubrique «Routes» sont accessibles sur le site de L’Actualité.
Demain c’est dimanche, réédition en 2018 dans la collection «La geste noire» de Geste éditions.
Dans l’édition spéciale Explorateurs et grands voyageurs (n° 73, été 2006), L’Actualité a publié «Ilakaka, ville Far West du Sud malgache», point de départ de Nationale 7. Carnet de voyage à Madagascar, publié par Le temps qu’il fait en 2008.
Bien contente de voir l’ami Pierre!