Gaston Chaissac – Lettres à l’abbé Coutant
Par Denis Montebello
« Quel est votre âge ? Moi je suis de 1910, l’année des comètes. Natif d’avallon. J’ai un compatriote sculpteur dont l’atelier est rue vercingétorix paris 14e. Il se nomme Pierre vigoureux. Mes parents étaient de Soursac (Corrèze).» (p. 41)
Voici le « picasso en sabot » et à la moustache queue de vache, son portrait par lui-même.
Sa vocation contrariée de garçon d’écurie, loin de l’arrêter, le pousse à travailler à la notoriété de Gilles le fienteron, à écrire des poèmes :
« Si mon livre à du succès je me verrais peut être offrir une place de chef d’écurie dans laquelle je ne verrais qu’un moyen d’accès, d’introduction pour ensuite m’y incruster et tenter d’y finir fienteron c’est a dire ce que a quoi j’aspire et qui me viendrait vraisemblablement sans que je m’en mêle car lorsqu’on est hissé sur une hauteur à la faveur d’une notoriété passagère (l’oubli vient vite) c’est pour s’en voir tôt ou tard chassé. Je ne demande pas autre chose et accepterait la première place comme un sacrifice nécessaire pour obtenir la dernière ensuite. » (p. 37)
Comment expliquer qu’un impie comme lui s’agenouille devant un prêtre (« un sac à charbon, un corbeau, un feignant ») ?
D’abord Bernard Coutant est peintre, un « peintre de sana », dit Chaissac qui sait de quoi il parle (il est aussi « tubard »). Il y avait entre eux, l’abbé le reconnaît dans l’entretien publié à la fin, « cette relation de la maladie ».
Il y avait encore, entre eux, l’amour de la peinture, d’une certaine peinture :
« J’ai l’impression qu’une chose primordiale pour l’art religieux est qu’il soit touchant. L’art brut pourrait par conséquent bien faire l’affaire après une certaine mise au point. Ayant fait dessiner des enfants, je me suis aperçu qu’on peut le plus heureusement du monde les guider pour l’exécution. On les laisse d’abord faire seuls puis on les guide pour qu’ils ajoutent ce que la construction exige, etc. Partant de ça, j’aimerais voir un essai de peinture religieuse par des adultes incultes ou presque incultes qu’on guiderait, conseillerait, encouragerait durant l’exécution. » (p. 86)
L’abbé Coutant est fou de peinture, il peint, il est critique d’art, et Chaissac, de son côté, aurait voulu être moine, puis ressusciter le druidisme, fonder une nouvelle religion : ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. C’est ce qu’ils font dans cette correspondance.
Ils ont fait l’un et l’autre leurs vœux, Gaston Chaissac de servir comme palefrenier, ou à défaut d’écrire des poèmes sous le speudonyme de Gilles le fienteron. L’abbé d’aimer l’art, à la barbe (ou à la tonsure) du Supérieur. L’un et l’autre ont choisi le laisser-aller. Le laissez-allé, comme l’écrit Chaissac, comme il dit : « des éliminés, des inadmissibles ».
Il y a des choses étonnantes, dans ce livre. Notamment une carte de l’Aquitaine. D’une Aquitaine qui excéderait ses limites actuelles, ou, ce qui revient au même, retrouverait ses anciennes frontières. Celles qui furent dessinées par les Romains et qui correspondent à peu près à la Nouvelle-Aquitaine :
« Je m’amuse pour l’instant à peindre des portraits qui figurent en même temps des fragments du sol de France découpés en suivant le pointillé des départements. L’un d’eux a un œil sur bellac et un autre portrait a la vendée comme tête et descend de la loire inférieure au hautes pyrennées. » (p. 34)
La première édition, également préparée par Georges Monti, a paru en 1979 à l’enseigne de Plein Chant. Cette nouvelle édition, que publie Le temps qu’il fait, est augmentée d’une vingtaine de lettres et comporte de nombreux manuscrits et dessins.
Le laisser-aller des éliminés. Lettres à l’abbé Coutant, 1948–1950, de Gaston Chaissac, suivi de Comment j’ai connu Gaston Chaissac par Bernard Coutant, préface de Laurent Danchin, Le temps qu’il fait, 176 p, 18 €.
Bernard Coutant (1920, Saint-Jean-de-Liversay- 2008, Saintes) est ordonné prêtre à La Rochelle en 1949, ville où il fut aussi guide conférencier de 1973 à 1989. En 2001, l’abbé Coutant a donné 800 œuvres au musée de la création franche, à Bègles.
Aux Sables d’Olonne, le musée de l’abbaye Sainte-Croix consacre une exposition rétrospective à Gaston Chaissac (1910–1964) jusqu’au 14 janvier 2018. La plus importante collection publique de cet artiste est conservée dans ce musée qui a reçu de la famille en 2017 un nouveau dépôt d’une centaine d’œuvres, dessins, peintures, objets peints, totems. Gaston Chaissac s’était installé en Vendée en 1942.
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