« Pas de fantaisie, s’il te plaît »

Lycée de Melle en 1968 : le temps des blouses.

Jean-Paul Bouchon signe un roman de formation agité de passions adolescentes dont l’épicentre est au lycée Desfontaines de Melle en 1967 et 1968.

Par Jean-Luc Terradillos

Comme dans un film d’archives de la télévision régionale, Jean-Paul Bouchon nous conduit dans la petite cité de Melle, sans oublier les noms des rues et des commerçants, ni même les temps de trajets entre, par exemple, la rue du Tapis vert, où réside le lycéen Jean-Pierre Beauséant, et le lycée Desfontaines. Que se passe-t-il dans ces lieux paisibles un an avant les «événements» de Mais 68 ? Rien ou presque. L’usine de chimie, implantée depuis le XIXe siècle, apporte son lot d’ingénieurs ce qui hausse le niveau de vie et de conventions sociales auxquelles s’ajoute la morale protestante particulièrement rigoriste dans certaines familles. C’est tranquille mais on étouffe. À 16 ans, Jean-Pierre est traité comme un enfant. Sa mère le tient à l’œil, minute ses déplacements, lui donne l’autorisation d’aller au cinéma mais pour tel ou tel film. L’ado sait trouver les failles. Par exemple, il peut aller voir Helga, de la vie intime d’une jeune femme, documentaire d’éducation sexuelle, parce que les associations familiales catholiques et protestantes, de droite comme de gauche, l’ont recommandé. Idem pour Le Lauréat, salué par le critique Michel Cournot : «Les parents croyaient dur comme fer à tout ce qu’écrivaient les gens du Nouvel Obs… […] Maman avait dû oublier le sujet du Lauréat (Dustin Hoffman couche avec la mère de sa copine et sûrement future épouse) ou n’avait pas lu l’article de Cournot.» Tout est bon pour découvrir l’anatomie féminine, de la Revue naturiste internationale, en vente à la maison de la presse, aux romans de gare du Pépé Larista. En 1967, les lycéennes portent des blouses, ne se mêlent pas aux garçons…

Jean-Paul Bouchon a raconté ses années-là dans un récit autobiographique, Une adolescence poitevine au temps du Général (Geste éditions, 2015), dont les premières pages ont été publiées dans le dossier Mai 68 de L’Actualité Poitou-Charentes (n° 80, avril 2008) : «Quand j’étais colonel de l’armée populaire». Au-delà de la valeur documentaire que l’avocat honoraire restitue avec précision – déformation professionnelle ? – c’est un personnage qui vient ébranler le ronronnement de ce petit monde perclus de certitudes ou de résignation. Arrive au lycée, Isabella Rapalli, fille d’un ingénieur de l’Usine et d’une divorcée – autant dire une «femme légère». Malgré les mises en garde de sa mère – «Surtout pas de fantaisie, s’il te plaît !», «Surtout ne fais rien avec elle !» –, la tête de l’ado est chamboulée par cette présence totalement inédite. Elle est belle, intelligente, ne manque pas de culot. Décidément, elle ne ressemble à rien de connu. Très vite, Jean-Pierre prend conscience de ses insuffisances et tente de se mettre à niveau afin de résoudre cette équation : «Comment se faire aimer d’une fille qui ne s’intéressait pas plus à vous qu’aux autres garçons ?»

Sagement, ils trouvent leur terrain de jeu dans les livres qu’ils échangent et commentent : Boris Vian, Simone de Beauvoir, Aragon, Malraux et Camus, Marguerite Yourcenar… sans oublier le poète René Ghil qui repose à Melle. Jean-Pierre ajoute les livres de Roger Vaillant «tous remplis d’astuces pour séduire une femme» et la littérature castro-guevariste publiée par Maspero. Côté la bande son, France Gall et Sylvie Vartan côtoient Jean Ferrat, Lenny Escudero, Léo Ferré et les Shadoks.

Deux livres pour combiner l’étude et la passion.
Deux livres pour combiner l’étude et la passion.

Au mitan du roman, le fossé culturel atteint une dimension sismique quand Jean-Pierre est autorisé à aller à Niort pour acheter un livre recommandé par un professeur de littérature. D’habitude avec ses parents, ils font l’aller-retour à la Camif, la coopérative des enseignants. Mais ce jour-là, c’est dans la 404 de Madame Rapalli, en compagnie de sa fille. À son grand étonnement, elle lui parle comme à un adulte, l’emmène dans des magasins de fringues pour dames, surtout pour acheter des soutiens-gorge à sa fille, et achète deux livres : Les Réactions sexuelles de Masters et Johnson, Le Comportement sexuel de l’homme de Kinsey. La révolution est en marche !

Melle année 68. Un amour au temps du lycée, de Jean-Paul Bouchon, La Geste, 280 p., 19 €
Mémoires d’une fille de ferme. Constance à l’aventure, d’Alain et Jean-Paul Bouchon, Les Moissons, 244 p., 7,90 €