Faustin Besson – Peintre de l’impératrice Eugénie
Par Grégory Vouhé Photo Marc Deneyer
À Thouars, le musée Henri Barré est centenaire. Il a ouvert le 25 juillet 1920 dans la demeure de ce docteur, dont il a pris le nom en mémoire de la donation de la maison et des collections qu’elle abritait. Isolée au milieu de sa parcelle, cette maison-musée paraît relativement petite par rapport aux hôtels particuliers voisins. Mais ce n’est pas une construction ordinaire, car elle a été bâtie selon les plans et dessins dressés par le docteur Barré, qui a notamment dessiné la façade principale en août 1861. La construction est entreprise l’année suivante avec les matériaux du temple protestant, démoli pour faire place nette à cette «petite maison bourgeoise», qui constitue «le principal ornement de la place Saint-Pierre» selon le témoignage d’Hugues Imbert paru en 1870. La construction est qualifiée de nouvelle dans le registre cadastral de 1866, tandis que son revenu, qui détermine le montant de l’imposition, est passé de 30 à 130 francs, signe de son achèvement.
Maison bourgeoise néogothique
Il est intéressant de remarquer qu’elle a manifestement servi de modèle à une autre maison néogothique bâtie 28 avenue Victor-Leclerc en 1888, qui lui ressemble de très près, mais dépourvue de l’abondant décor sculpté (dans un tuffeau hélas très friable) de la demeure du docteur. La tradition attribue à celui-ci la belle cheminée néogothique de son cabinet de travail, qu’il a pu, sinon sculpter, du moins concevoir puisque sa pratique des arts graphiques est connue par plusieurs œuvres qui témoignent d’un talent très honorable : sans doute a‑t-il étudié le dessin. Les pièces de réception, salon de compagnie et salle à manger, qui jouissent de la vue sur la vallée, sont ornées de décors d’exception qui achèvent d’en faire une maison extraordinaire : ce sont à peu près les seuls de cette qualité en Poitou du temps de Napoléon III. Trumeau de cheminée de la salle à manger et plafond peint du salon doivent en effet dater du milieu des années 1860 puisqu’ils étaient prévus par Henri Barré dès la conception du décor qui leur sert de cadre.
Décorée par «le Boucher moderne»
La peinture du plafond porte la dédicace «F. B. à son bon ami le Dr Barré1», qui possédait plusieurs autres œuvres de cet artiste : outre la peinture qui orne la cheminée de la salle à manger, un dessin signé Faustin Besson, pareillement dédicacé «au bon docteur Barré», et une Nature morte à la pie, signée des seules initiales. Une photo signée F B, que l’inventaire du musée proposait d’identifier comme un possible portrait d’un des frères Barré, est en réalité celui du peintre. Accrochée dans le salon comme en témoigne un inventaire de 1893, elle illustrait aux yeux de tous les visiteurs l’amitié qui liait le docteur à l’artiste, tout en identifiant physiquement l’auteur des décors peints. Besson (1821–1882) et Barré (1824–1887) étaient de la même génération ; tous deux ont étudié dans le Paris du début des années 1840, où ils ont dû nouer des liens assez étroits pour que l’artiste, alors au faîte de sa gloire, vienne orner la maison d’un médecin de province de décors dignes des plus beaux hôtels parisiens. Dès 1852, la commande de quatre dessus-de-porte est passée à Besson pour le ministère de l’Intérieur. Il ne peint finalement que Le Réveil du printemps ; le sujet est traité «dans le style de Boucher et de Watteau, dont M. Besson reproduit avec tant de grâce les galantes fantaisies» selon la Revue des Beaux-Arts. Auguste Romieu, directeur des Beaux-Arts, dit du peintre que «c’est le Boucher moderne».
Le plafond de la chambre de l’impératrice
Un tel talent ne pouvait que séduire l’impératrice Eugénie : elle vouait au xviiie siècle une véritable passion, s’entourant au Palais des Tuileries de meubles de Riesener livrés pour Marie-Antoinette. Au Salon de 1853, Besson expose un tableau que le livret officiel décrit ainsi : «Boucher, amoureux de Rosine, fruitière du quartier, va lui acheter des cerises.» La toile plaît tant à l’impératrice qu’elle l’achète pour l’accrocher dans le salon d’attente de son appartement au château de Saint-Cloud (où le peintre exécute par ailleurs deux dessus-de-porte pour le cabinet de Napoléon III). Elle ne tarde pas à passer commande à Besson du plafond de sa chambre à coucher au Palais des Tuileries, dont l’une des esquisses conservées est datée 1853. Payé 7 000 francs, le décor est livré au début de l’année suivante, après seulement deux mois de travail pour répondre à l’impatience d’Eugénie. Réalisation prestigieuse qui vaut à l’artiste de très nombreuses commandes de décors peints, tel le plafond d’un salon du fameux hôtel de la marquise de Païva, ou ceux de l’hôtel de Rougemont, décrits par la Revue anecdotique en 1858 : «L’on peut aujourd’hui y admirer deux plafonds où le peintre a fait voltiger toutes les vaporeuses mignardises de ce xviiie siècle, qu’il se plaît à continuer pour la plus grande joie du genre Pompadour. Ce ne sont que nymphes élégantes, que nuages transparents et dorés, que petits amours de bonne maison.» Description de décors disparus qui pourrait être celle du plafond thouarsais. Ses nombreuses commandes conduisent Faustin Besson à se désister au profit de son adjoint, trois ans après avoir été nommé conservateur du musée de Dole (1864–1867). En dix jours (10–19 octobre 1867), il exécute pour 5 000 francs le plafond d’un grand salon de l’hôtel du gouverneur de la Banque nationale de Belgique.
Précieux témoin de l’art du Second Empire
C’est dans ce contexte qu’il est venu à Thouars décorer la maison de son «bon ami», qui n’est pas un hôtel particulier : elle est d’ailleurs appelée maison dans la donation à la ville. Hormis la dépose regrettable des doubles portes du salon – pourtant utiles en cas d’incendie ! –, son décor d’inspiration Louis XV (style de prédilection de l’élite citadine) s’est miraculeusement conservé depuis sa mise en place par le docteur Barré : parquet à point de Hongrie, cheminée de marbre blanc surmontée d’un miroir qui reflète la peinture du trumeau de la salle à manger, jusqu’à la tenture feuillagée encadrée de baguettes dorée et la cantonnière festonnée. Souhaitons la restauration de cet ensemble qui souffre du passage du temps : il constitue un remarquable témoin de l’art du Second Empire, aujourd’hui réhabilité, après un long purgatoire où, par préjugés, il n’était question que de pastiches et de mauvais goût. Les amours peints au trumeau de cheminée paraissent d’ailleurs dériver de ceux esquissés dans les deux études connues pour le plafond de la chambre de l’impératrice, disparu en 1871 dans l’incendie des Tuileries. Le décor thouarsais, qui mériterait une protection au titre des Monuments historiques, n’en est que plus précieux !
1. Le musée de Grenoble conserve un portrait d’Arthur Bordier (1841–1910) dédicacé «A son ami le Dr Bordier F B».
La Société d’histoire, d’archéologie et des arts du pays thouarsais, devenue en quelques années la plus dynamique du Poitou, organise une exposition autour du prêt de quatre toiles pour mettre en valeur le salon.
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