Du Louis XV pour la République
Les arts-décoratifs sont un peu les parents pauvres de l’histoire de l’art, personne ne regarde le fauteuil sur lequel il s’assoie, l’assiette dans laquelle il mange, peu de gens font cas de la pendule marquant les heures, ni de tous les objets du quotidien. Pourtant tous issus du savoir-faire d’un artisan, d’un menuisier, d’un ouvrier d’excellence qui a eu une idée mercantile, suivre la mode ou la créer. Avez-vous déjà porté votre attention sur le mobilier de nos ministres, préfets, ambassadeurs… ? Une grande partie de ces bureaux, fauteuils, commodes, sont tout à fait remarquables. Ils sont de différents styles et différentes époques. Mon mémoire de Master 1 portait justement sur la présence du mobilier de style Louis XV dans les ministères.
Si le style Louis XIV se caractérise par un luxe et une majesté très lourde et rigide. Une référence à l’Antiquité droite, symétrique et minérale, avec des pattes de lions ou de gros pilastres, le style Louis XV est son exacte opposé. Souple, onduleux, dissymétrique et végétal, ce sont de véritables tiges couvertes de feuilles, et de coquilles qui se déploient, cachant de petits personnages, des oiseaux ou des dragons. En contrepied, le style Louis XVI revient à la rigueur antique, il est plus fin, plus sobre. Les pieds ressemblent à des carquois ou de fines colonnes reliées entre elles par des guirlandes fleuries. Plus près de nous, le style empire fait lui aussi référence à l’Antiquité, mais c’est une Antiquité plus massive, lourde, avec d’épaisses colonnes. Contrairement aux styles d’Ancien Régime couverts d’or, ou de peinture, le style Empire met le bois en valeur.
Mais alors que fait du mobilier au style si daté dans nos institutions ? N’est-il pas paradoxal pour la République, d’employer du mobilier se référant à des rois absolus, en butte avec leurs Parlements, et même décapités par le peuple ?
La réponse est somme toute assez simple. Il s’agit de continuité ! Si ce type de mobilier était à la mode lors de leur conception au xviiie siècle, la Révolution et l’Empire ont adopté de nouveau style relayant les anciens aux oubliettes. Pourtant cela ne fut pas le cas dans les ministères. Il est vrai que les ventes révolutionnaires ont dispersé une partie du mobilier royale. Mais les ministères ayant besoin de mobiliers prestigieux, ils se sont servis dans les saisies révolutionnaires des émigrés.
Dans la continuité, le xixe siècle est bousculé par de nombreuses révolutions, les régimes changent presque tous les quinze ans. Mais les bureaux, les locaux, le mobilier restent en place. Les hommes changent, pas le mobilier. Le ministère de la justice est dans le même hôtel particulier depuis 1719, c’est vous dire la continuité.
Les espaces officiels comme les salons de réception et les bureaux sont plus susceptibles d’être meublé avec des styles d’Ancien Régime. Au xixe siècle, par souci de continuité, tous les meubles prestigieux sont exposés pêle-mêle. Mais si souvent le style Louis XIV et le Louis XVI sont employés seuls dans un salon, ce n’est pas le cas du style Louis XV. Il est victime de ses courbes, de sa liberté, et du dénigrement des intellectuels d’alors sur le roi Louis XV. Ensuite la Troisième République s’est bâtie sur les ruines encore fumantes du Second Empire. Et celui-ci avait lui-même repris les codes de la Monarchie de Juillet et du Premier Empire. La légitimité du pouvoir passe par l’utilisation des codes des régimes précédents. Ces trois régimes, monarchique puis républicain, se veulent différents, plus en phase avec leur temps, tout en s’inscrivant dans une continuité.
Aujourd’hui encore dans nos ministères les styles d’Ancien Régime et Empire se côtoient de façon totalement empirique accompagné de meubles au design plus ou moins contemporain.
Toutefois, la fragilité de ces meubles bientôt tricentenaires, nuit à l’emploi de ce type de mobilier. C’est en partie pour cela, que la pratique de la copie s’est développée au xixe siècle. Et même dans les ministères, nous retrouvons des bureaux plus ou moins fidèles à leur modèle d’origine ! Ainsi l’un des bureaux du ministre des Affaires étrangères est une copie du bureau de Jacques Dubois, dit de Vergennes. Cette table de travail a fait partie des nombreux biens saisis à l’aristocratie ayant fui la Révolution. Et dès cette époque, elle a été attribuée au ministère des Affaires étrangères qui l’a ensuite versé au musée du Louvre en 1912. Toutefois, de temps à autres, une copie de ce bureau sert de table de travail aux ministres.
Vous l’aurez compris, si l’emploi de ce type de mobilier s’est perpétué, c’est aussi dû à la richesse des hôtels abritant ces institutions. De ce fait, le mobilier de style répond à la profusion des lambris et des dorures. Et justement les imitations et les copies permettent de concilier utilisation et décorum.
En somme, le mobilier prestigieux employé par les ministres, sert la fonction de représentation. Il sert à légitimer le dépositaire, notamment sous la IVe République où les gouvernements et les ministres défilent à grande vitesse. Le mobilier sert de cadre, mais présente aussi la qualité du savoir-faire des artisans et du luxe français. Ces idées de légitimation, de pérennité de l’État et d’excellence, sont issues du xixe siècle et de ses deux derniers régimes monarchiques.
Désormais cher auditeur, vous pouvez jeter un coup d’œil sur les bureaux des élus, que ce soient dans les films ou dans les reportages, vous aurez peut-être la chance de reconnaître un chef‑d’œuvre de menuiserie.
Analyse par Mathieu Fonroques, étudiant en master 2 histoire de l’art, patrimoine et musées de l’université de Poitiers.
Dans le cadre d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique mené par la rédaction de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine.
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